La romancière sénégalaise Fatou Diome revient sur l'exil vu du côté de celles qui ne partent pas.
Pourquoi avoir choisi de vous placer du côté des femmes?
Je retourne deux ou trois fois par an au Sénégal, et chaque fois je suis frappée par le désespoir et les attentes de ces femmes, dont le fils ou le mari est parti tenter sa chance en Europe et dont elles n'ont pas, ou si peu, de nouvelles. Comme elles savent que j'habite en France, elle me demandent de leur passer le bonjour si je les vois, sans imaginer un seul instant qu'il n'y a aucune chance que je les rencontre.
Elles n'ont aucune idée de l'immensité de l'Europe! Cela me touche profondément, et j'ai donc voulu tourner le miroir vers les femmes.
Vous dénoncez la polygamie. Comment cela est-il reçu au Sénégal?
Quand je critique la polygamie, on m'insulte, mais quand je critique les chalutiers étrangers qui ratissent nos côtes, on m'applaudit ! Le travail de l'auteur est de montrer les choses telles qu'elles sont, de s'impliquer.
Et les femmes apprécient, et me soutiennent à fond, ainsi que des hommes progressistes qui ont envie que cela change.
La critique la plus efficace de la polygamie est d'entrer dans ses arcanes au quotidien, de montrer comme elle rend mauvais, quelles rivalités se créent entre les femmes et les enfants. Une femme qui a les moyens de la refuser n'hésite pas un instant.
Vous n'êtes pas tendre envers les dirigeants africains, qui, dites-vous, ne font rien contre l'analphabétisme...
Peut-être cela arrange-t-il les dirigeants de diriger des ignorants ? ! Le jour où on voudra absolument développer l'Afrique, il faudra alphabétiser en masse. C'est la seule solution. Or, pour beaucoup d'hommes, faire de la politique est simplement un moyen de chercher à s'en sortir…
Vous dites aussi : «les Africains sont le cheptel de l'Occident».
Je n'aime pas accuser tout le temps les Européens mais il faut qu'ils arrêtent cette hypocrisie de prétendre vouloir développer l'Afrique. Je trouve ahurissant par exemple de voir les anciennes colonies critiquer la Chine - on dirait un mari jaloux!
Ils disent que la Chine colonise l'Afrique mais ont surtout peur de ne plus avoir le monopole de l'exploitation de sa main-d'œuvre et de ses ressources. Les Chinois ne colonisent rien du tout. Ils font des affaires, c'est tout, et offrent d'autres choix aux Africains.
Vous vous en prenez même au microcrédit...
Le microcrédit est souvent mal introduit, et a un effet dévastateur quand il s'adresse à des femmes, non préparées, qui acceptent sans comprendre qu'il va falloir rembourser avec un intérêt. Ces femmes sont dans un état de précarité si grande que prélever même 0,5 % de leur gain, c'est indécent. C'est tabou, mais il faut en parler. Le capitalisme humanitaire n'existe pas.
Propos recueillis par Annick Stevenson
Un message à l'attention des Européennes « Rien ne les distinguait pendant les cérémonies villageoises. Elles se faisaient aussi belles qu'elles le pouvaient et participaient aux réjouissances collectives, car aucune d'elles ne souhaitait être la fausse note de la symphonie sociale. » C'est par la même image, de ces femmes au corps défait par le travail et la misère voulant néanmoins conserver leur dignité, que Fatou Diome ouvre et ferme son roman. Elle y raconte, avec réalisme mais aussi beaucoup d'humour et de tendresse, le quotidien de ces femmes dont le fils, ou le mari, poursuivant un impossible rêve, s'est laissé enchaîner dans la galère déshumanisante de l'immigration. « J'ai voulu faire passer un message à l'attention des femmes européennes : elles seront jamais totalement libres tant que d'autres femmes seront traitées comme cela, ailleurs », dit-elle. Née en 1968 dans une île sénégalaise comme celle de ce roman, Fatou Diome porte en elle cette rébellion qui s'exprime dans ses écrits. Connaissant de près, pour les avoir vécues, les angoisses de l'exil et de l'errance, elle a conservé une immense empathie pour ceux restés « là-bas ». Elle l'exprime magnifiquement dans ce roman puissant et prenant, qui ne peut que nous interpeller.
A.S. «Celles qui attendent», Flammarion, 20 euros.