Cette magie a disparu devant le mirage de l’argent qui pervertit les moeurs. Symbolique est la saga de l’hymne helvétique. Jusque dans les années 1960 on chantait « A toi Patrie, Suisse chérie » sur une mélodie parodiant le «God save the Queen». La similitude des deux airs, en raison de l’embarras que cette situation provoquait lors des confrontations sportives opposant la Suisse à l’Angleterre, conduisit au changement d’hymne national.
«Sur nos monts, quand le soleil…». Un cantique mélodieux mais souffrant d’un problème de reconnaissance dans la mesure où personne ou presque ne retient les paroles. Ou n’a envie de le chanter, tout simplement. Les Helvètes ont-ils honte de manifester leur sentiment national?
Observez bien les joueurs dans un stade où évoluent des footballeurs suisses. Aucun son ne sort de leur poitrine mais les lèvres frémissent, leurre bien intégré dans leur bagage officiel grâce aux consignes de faiseurs en communication. Manifester un minimum d’empathie, alors que les Bleus, la Mannschaft et les Azzurri entonnent en choeur leurs hymnes et que leurs publics s’enflamment au son des accords de Rouget de Lisle, Haydn et Verdi. On n’ira pas jusqu’à dire que c’est pour cela que ces équipes gagnent souvent. Mais si l’Europe a tellement de peine à se faire, l’explication se trouve aussi peut-être là…
Reste que le symbole est tellement absent du coeur des Suisses qu’un nouvel hymne est à l’étude. Comme s’il s’agissait d’un produit marketing!
Egalement symbolique de la perte d’identité du 1er août est la tradition de l’allocution. L’occasion pour les politiciens de rappeler les motifs qui unissent les Suisses puisque c’est à cela que sert une fête nationale. Les ministres du gouvernement s’y plient consciencieusement mais leur présence sur quelques places de villes ou de villages ne suffit pas à rassasier 8 millions d’habitants, la population du pays. Ailleurs, des « people », acteurs, chanteurs, ténors de l’industrie ou clowns les remplacent avec plus ou moins de bonheur civique.
On ne saurait demander à la Suisse de revenir à l’époque bucolique où chacun défilait sobrement avant de regagner ses pénates. Le consumérisme n’étant pas encore une religion, le peuple réutilisait les lanternes des célébrations précédentes. On sortait les lampions repliés d’un coffre fleurant la naphtaline pour les accrocher allumés au balcon d’où l’on contemplait d’autres feux, ceux scintillant sur les monts.
On peut s’interroger par contre sur l’opportunité d’attractions qui n’ont rien à voir avec une commémoration mais se réduisent à un attrape-touristes, une foire, à l’image de tel spectacle aquatique qui sera organisé cette année dans les Préalpes, ou de ces feux d’artifice destinés à concurrencer Persepolis dans des prairies ravagées par les pneus des 4×4, au mépris d’une faune qui abhorre les pétards. Qui nouera la gerbe? Le contribuable, bien entendu.
«On dirait que les Suisses sont devenus snobs», regrettait mon père, un Valdo-Genevois qu’animait le souci du service public, peu avant son décès, en 1989. Près de trente ans plus tard, je ne saurais lui donner tort. Voilà pourquoi, quitte à passer pour un rabat-joie, quitte à choquer les ténors nationalistes pérorant à grands renforts de mégaphones et de caméras de télévision sur la plaine mythique du Grütli, je ne fêterai pas le 1er août cette année.