C'est un film. "Lost in Thailand", qui a tout déclenché. Une comédie franchement burlesque qui retrace la poursuite de deux chimistes rivaux partis à la recherche du patron d'une grande entreprise pétrochimique effectuant une retraite mystique dans un monastère perdu en pleine jungle, au nord de la Thaïlande. Au cours de cet improbable voyage, ils rencontrent le très farfelu Wang, aux cheveux jaunes, qui se rend dans ce pays pour réaliser ses rêves. Visites de temples mystiques ou de spas de luxe, lady boys ou masseuses au plastique de rêve, boxe thaï ou trafic d'antiquités, aucun cliché n'est épargné. Et les Chinois adorent.
C'est la légèreté de ce film, comparativement aux fresques historiques ou légendaires du cinéma chinois, qui doit son succès à cette production à petit budget réalisée par un acteur célèbre de Shanghai, Xu Zheng, dans lequel il joue l'un des rôles principaux. Sorti en décembre 2012, il a déjà capitalisé plus de 380 millions d'entrées (davantage qu'Avatar, auparavant le film le plus populaire en Chine) et un profit qui dépasse les 185 millions de francs suisses, ce qui fait de lui la production la plus rentable de l'histoire du cinéma chinois.
Le boom du tourisme chinois à Chiang Mai
Depuis sa sortie, Chiang Mai, la troisième ville du pays, située au pieds des montagnes séparant la Thaïlande de la Birmanie, où il a été tourné, la population, stupéfaite, a vu arriver un afflux considérable de Chinois, qui ont littéralement envahi les hôtels et sites touristiques. C'est ce que relate notamment Le magazine City Life Chiang Mai qui a consacré le dossier principal du numéro d'août au sujet sous le titre de couverture "Le boom du tourisme chinois à Chiang Mai". Le phénomène des migrations de touristes chinois est certes universel, et la Thaïlande était déjà l'une de leurs destinations favorites, mais cette année, selon le ministère du Tourisme du pays, le nombre de visiteurs de l'Empire du milieu a atteint 2,27 millions de janvier à juin 2013, soit environ 100% de plus qu'en 2012.
Et de fait, on rencontre partout en ville des groupes de Chinois munis d'appareils photos, reconnaissables à leur allure très touriste et, pour les femmes, à leurs mini-jupes ou minishorts. Très vite, les commerçants locaux, enchantés de l'arrivée de cette nouvelle clientèle très consommatrice, se sont adaptés. Bon nombre de restaurants, cafés ou boutiques l'ont même directement ciblée et certains, comme le salon de thé Mango Tango qui propose des petits desserts réputés irrésistibles, sont devenus les rendez-vous incontournables des Chinois.
Tout comme dans le film
Il faut dire que Chiang Mai, habituellement connue sous le nom de "rose du nord", mais que certains, par plaisanterie, commencent à appeler "Chinagmai", est très accessible depuis la Chine, surtout depuis Kunming, dans la province du Yunnan, située au sud-ouest, à 2 heures de vol. Et les Chinois, pas toujours vus d'un très bon œil dans certains pays, apprécient l'excellent accueil que leur réservent les Thaïlandais, comme à tous les étrangers, en dépit des différences culturelles (les Chinois seraient plus bruyants, et moins scrupuleux à respecter la propreté des sites visités), et linguistiques. Et pourtant, les problèmes de langue sont bien réels. Mme Tian, originaire de Kunming, qui travaille à l'hôtel de luxe Mandarin Oriental à Chiang Mai, citée par le magazine chinois Go Kunming, se plaint d'être la seule à pouvoir répondre aux questions des Chinois, qui constituent désormais plus de la moitié de la clientèle de l'hôtel.
Mais en dépit des petites difficultés de communication, les hôteliers sont nombreux à tirer profit de cette nouvelle vague de visiteurs. Une vague sur laquelle, comme un peu partout dans le monde, ont su très vite rebondir les investisseurs. Alors que les panneaux publicitaires d'espaces commerciaux à vendre dans la dizaine de nouveaux "malls" géants à l'américaine en projet étaient habituellement écrits en anglais ou en japonais, ces langues commencent à céder la place au mandarin. De plus en plus de fonds chinois sont impliqués dans l'immobilier à Chiang Mai. Ils financeraient notamment 10 % des 80 projets de construction d'immeubles de condominiums dans la ville. Et les resorts et boutique hôtels parmi les plus cotés les attirent tout autant, car ils savent qu'avec un peu de promo en Chine ils afficheront complet toute l'année. Le sélect Spa Resort par exemple, au nord de la ville, connu pour ses excellents massages, ses cours de yoga quotidiens et ses cures de détox, qui attirait surtout des Occidentaux, est en cours de rachat par des Chinois prévoyant de faire venir des compatriotes aisés en quête de retraite zen, tout comme dans le film.
Ils viennent s'amuser - ou se marier
Pour aider ces nouveaux investisseurs et visiteurs, une société de communication, Access China Communication, basée à Chiang Mai, vient de publier le premier numéro du "seul magazine de business et de voyage en langue chinoise". Financé par la publicité, ce magazine très glossy présente des informations sur les hôtels, les spas, le shopping, les terrains de golf, les bars, restaurants, boîtes de nuit et attractions touristiques telles les balades à dos d'éléphants ou l'artisanat de qualité, sans oublier les biens immobiliers à vendre ou à louer, ainsi qu'une présentation graphique de quelques expressions essentielles à savoir dire en thaï. Distribué gratuitement dans les principales villes chinoises et dans toute la Thaïlande, et accessible en ligne (www.nihaomagazineonline.com), il cible un nombre de voyageurs et entrepreneurs chinois estimé à 4 millions en 2013.
Le ministère du Tourisme thaïlandais voit d'un œil plutôt positif l'arrivée de ces nouveaux touristes, qui ne sont pas regardants à la dépense et viennent s'amuser - ou se marier. Car parmi les nouvelles tendances, venir convoler en Thaïlande est le top du romantisme parmi les Chinois. Le 8 août dernier, dans un événement spécial organisé par les autorités thaïlandaises, 40 couples chinois ont acheté un package "mariage", lune de miel compris, de 5 jours et 4 nuits sur la côte, au sud-ouest de Bangkok, et le nombre de mariages entre Chinois dans le sud du pays pourrait avoir atteint le millier d'ici la fin de l'année.
Des cours intensifs de mandarin
Mais c'est Chiang Mai qui, aujourd'hui, les attire le plus, et déjà bon nombre de ceux qui sont venus passer quelques jours sur les traces des héros de "Lost en Thailand" ont commencé à envisager d'y rester, sur le modèle des anciens immigrants (estimés à 40.000): Anglais, Australiens, Hollandais, Français, Allemands, et Suisses, qui avaient été suivis par des Japonais et des Coréens. Pour les familles les plus aisées de la classe moyenne chinoise, le prix d'achat ou de location d'un logement est bien plus abordable à Chiang Mai qu'à Shanghai, et cette région du nord est bien moins polluée, chaude et humide que Bangkok. Avec son caractère très zen et sa centaine de temples bouddhistes, ses forêts d'arbres exotiques et ses maisons traditionnelles en bois, elle est réputée être l'une des villes les plus agréables à vivre en Asie. Aujourd'hui, de nombreux agents immobiliers on commencé à apprendre le chinois. Et les écoles de langues, qui enseignaient surtout le thaï aux expats et l'anglais aux habitants locaux, proposent désormais toutes des cours intensifs de mandarin.