Retraçant la vie de Farag Mikhaïl Moussa, l’un des pionniers de la diplomatie égyptienne, le livre «Egyptien & Diplomate» ne fait pas exception à la règle.
L’auteur n’est autre que son fils, Farag Moussa. Genevois d’adoption, ce dernier exerça aussi la carrière de diplomate au service de l’Egypte. Il a publié plusieurs livres sur les relations internationales ainsi qu’une série d’ouvrages consacrés aux femmes inventeurs contemporaines.
Issu d’une famille paysanne copte orthodoxe établie dans le delta du Nil, Farag Mikhaïl Moussa est un patriote sincère, de ceux qui s’investissent avec dévouement et abnégation dans la cause de leur pays, sans céder à la démagogie. Après l’obtention d’un brevet d’avocat au Caire, il milite dans les rangs du mouvement indépendantiste Wafd puis s’en va parfaire sa formation à Londres et à Lyon. A son retour, en 1923, l’Egypte ayant accédé à l’indépendance, Moussa intègre le corps des diplomates égyptiens fraîchement constitué. Son premier poste sera Washington où celui qui n’est encore qu’un jeune Attaché de légation rencontre sa future épouse, une salariée de l’enseignement américaine. Suivront d’autres transferts prestigieux: Berlin, Addis-Abeba (où naît l’auteur en 1929), Rome, l’Espagne, ou plutôt la frontière franco-espagnole d’où l’émissaire egyptien assistera sans aucun plaisir au manège des puissances, Angleterre en tête, qui rivalisent pour être les premières à reconnaître le régime franquiste.
Mais ce fil rouge dont nous parlions au début du texte, quel est-il? En fait il y en a deux. Le premier se situe dans la personnalité attachante de Farag Mikhaïl Moussa – il porte le titre de bey dès 1936 – un homme intègre et loyal qui jouera un rôle de pivot en Ethiopie, notamment, où il obtiendra la confiance du Négus. Ce n’est pas pour rien que Farag Moussa sera envoyé en 1935 en tant que Chargé d’affaires à Rome où se prépare l’invasion du pays des hommes libres. Voisine de la Libye occupée par l’Italie, l’Egypte suit d’un oeil inquiet l’évolution de la situation et craint d’être le prochain domino. Transmise à Farag Mikhaïl Moussa, une déclaration de Mussolini rassure le Caire: «Il n’est nullement dans les intentions du Gouvernement italien d’attaquer l’Egypte (…). L’Italie est au contraire disposée à consolider ses accords avec l’Egypte (…), inspirée par des sentiments de profonde amitié.»
Une autre balise du livre est le contexte historico-politique de la première moitié du 20e siècle. Face à ses anciennes colonies, l’Angleterre peine à desserrer son étreinte. Présente en Egypte depuis 1882, elle n’a de cesse de jeter des peaux de banane sur le trajet de l’indépendance. A partir de 1922, on ne pend plus les «insolents» paysans du cru qui osent s’opposer au tir de pigeons, volatile presque sacré, par les soldats anglais. Par contre l’armée de Sa Gracieuse Majesté occupe toujours le pays. Londres bloque aussi l’adhésion de l’Egypte à la Société des Nations et raille la présence à Washington de représentants du roi Fouad qui règne sur l’Egypte.
En Ethiopie, le diplomate a l’occasion d’observer à de multiples reprises les effets de la possessivité envahissante de l’ancien occupant. La Légation anglaise ne se déplace jamais sans une escorte enturbannée d’une centaine de personnes. «J’ai rarement vu une agitation comme celle de la Légation britannique, alliée à tant d’incompétence pour s’acquitter de ses devoirs. Le Ministre Barton au teint couleur brique est un consul mal dégrossi», brocarde l’écrivain et reporter anglais Evelyn Waugh, que l’auteur cite dans son livre. L’omniprésence anglaise se manifeste aussi sur le plan économique. Pour réaliser un barrage contesté sur le lac Tana, destiné à irriguer le Soudan sous contrôle anglais, Londres n’hésite pas à comploter avec Mussolini. Le projet ne verra pas le jour, échec rapidement éclipsé par la menace d’une intervention italienne dans l’ancienne Abyssinie. La patte anglaise est également manifeste quand l’inexpérimenté roi Farouk s’installe sur le trône d’Egypte en 1937. Son premier geste est d’écarter un chef de gouvernement issu du parti Wafd, pourtant légitimement choisi par le parlement. Entachée de doute également est la mort, en 1946, du chef de Cabinet du roi d’Egypte, un ami très proche de Farag Mikhaïl Moussa. Avant de basculer d’un pont, le véhicule dans lequel se trouve Ahmed Hassanein Pacha a été heurté à deux reprises par un camion de l’armée britannique.
S’il subit indirectement les mesquineries de Londres, Farag Mikhaïl Moussa n’a jamais nourri pour autant de sentiments anti-anglais primaires. Il gardera toujours un souvenir ému de ses logeurs à Leeds, la ville où il a obtenu son doctorat. «Entre les Anglais occupant sa terre d’Egypte, et le peuple anglais lui-même, mon père a toujours fait une nette différence. Je suis moi-même passé par le même sentiment: tous mes préjugés sont tombés le jour où j’ai mis le pied chez de ‘vrais Anglais’ sur le sol de la ‘vraie Angleterre’», confie l’auteur de «Egyptien & Diplomate».
En 1939, Farag Moussa bey est rappelé au Caire, sa carrière diplomatique prend fin brutalement. Une loi égyptienne interdit à un diplomate d’épouser une étrangère… «Encore une idée des Anglais?» se demande la famille. En effet, plusieurs diplomates egyptiens avaient des conjointes allemandes ou italiennes, ce qui n’était pas bien vu, quelques semaines avant l’entrée de la Grande-Bretagne dans la guerre. L’épouse de Moussa bey a beau être Américaine, une exception n’est pas de mise. Le haut fonctionnaire ne veut pas quitter la fonction publique, il entre au Contentieux de l’Etat à Alexandrie, y restant jusqu’en septembre 1946. Quelques mois plus tard, il décède des suites d’une attaque cérébrale à l’âge de 54 ans. Mort debout, Farag Moussa bey n’aura pas eu la satisfaction de revivre le retour au pouvoir du parti Wafd, en 1950. En 1951, son fils et homonyme entre à son tour au Ministère égyptien des Affaires étrangères, ce qui lui permet de conclure aujourd’hui: «De père en fils, de lui à moi, la boucle était bouclée».
«Egyptien & Diplomate» par Farag Moussa, Riveneuve Editions 2014.