Dans le pays où le nombre d'habitants possédant un smartphone est le plus élevé au monde, l'addiction des jeunes aux nouvelles technologies commence à préoccuper le gouvernement.
Il existe au moins un pays au monde où les livres, et les journaux, semblent avoir pratiquement disparu de la rue : la Corée du Sud. C'est du moins l'impression que l'on peut avoir lorsqu'on y séjourne.
Pratiquement aucun quotidien ne s'affiche dans les kiosques des gares, les espaces librairie se font rares dans les grands magasins, et les libraires ayant pignon sur rue semblent être devenus aussi surannés que les disquaires en France. Cela veut-il dire que les Coréens ne lisent pas?
Etonnant dans un pays où la production de papier artisanal de grande qualité est une spécialité. Moins étonnant quand on sait la progression vertigineuse des smartphones Samsung (numéro un pour les ventes), et d'autres marques. Les Coréens lisent donc bien, mais autre chose sans doute, sur d'autres supports en tout cas.
Il suffit de prendre le métro ou d'observer les files d'attente aux arrêts de bus pour constater l'impressionnant déploiement de portables ou mini tablettes de tous genres et toutes couleurs palpitant de leurs images vacillantes.
Et bien souvent, lorsqu'un couple, ou un groupe d'amis, se retrouvent à la table d'un resto ou d'un Starbucks, la première chose qu'ils font est d'ouvrir leur smartphone et de le poser devant eux ou, mieux, d'exposer son écran au vu de tous pour partager son contenu avec les autres, force commentaires et éclats de rire.
80 % des écoliers possèdent un Smartphone
Le phénomène, bien innocent d'apparence, pourrait faire sourire. Mais ces dernières semaines, les autorités sanitaires et éducatives du Gouvernement sud-coréen ont exprimé publiquement leurs préoccupations, non quant à la prolifération des petits appareils, mais quant aux conséquences graves que la dépendance à ces nouvelles technologies commence à avoir sur le mode de vie et la santé d'une partie de la population, et plus particulièrement des jeunes, y compris les tout petits, dès la maternelle.
A Séoul, ville "la plus connectée de la planète", environ 70 % des 50 millions d'habitants possèdent un smartphone, ce qui est le taux le plus élevé au monde, selon eMarket. Parmi les écoliers de 12 à 19 ans, ils étaient plus de 80 % à posséder un smartphone en 2012 - deux fois plus qu'en 2011.
Une tendance partiellement encouragée par le pays, qui a fait depuis plusieurs années la promotion d'internet comme facteur vital de croissance économique. Mais aujourd'hui le gouvernement tire la sonnette d'alarme. Mi juin, le ministère de la Science déclarait : "Nous ressentons un besoin urgent d'entreprendre un vaste effort face au danger croissant de l'addiction numérique (...), notamment en raison de la popularité des téléphones multifonctions". Associé aux ministères de la Santé et de l'Education, il a demandé aux écoles d'organiser des "cours de prévention sur l'addiction à internet", et même des camps de vacances pour "désintoxiquer" les écoliers devenus trop dépendants.
Bien que les professeurs confisquent les smartphones avant le début des cours, les autorités estiment que 40 % de ces jeunes passent trois heures par jour à les tripoter, la plupart du temps pour jouer à des jeux, visionner photos ou vidéos, ou communiquer avec les copains - bien plus rarement pour lire. Et un sondage national a précisé que 20 % des jeunes de cette tranche d'âge sont "accros". Une dépendance définie par une liste très précise de critères, tels que : se sentir déprimé ou même ressentir de l'anxiété quand on est séparé de son petit appareil, avoir échoué à réduire le temps passé à le consulter malgré plusieurs tentatives, et se sentir plus heureux avec son smartphone qu'avec ses amis ou sa famille…
Graves conséquences sur la santé mentale
A l'appui du gouvernement, les médias mettent en avant la campagne de sensibilisation aux graves conséquences que les smartphones peuvent avoir sur la santé mentale lancée par Kwon Jang-Hee, un ancien instituteur qui a créé une association de lutte contre la dépendance numérique. Qualifiant les accros au portable d'"esclaves décérébrés", Kwon Jang-Hee estime que le problème est accentué par le fait que les parents peuvent beaucoup moins contrôler l'usage que leur enfant fait d'un téléphone portable que d'un ordinateur fixe à la maison.
Mais les enfants ne sont pas les seuls concernés. De jeunes adultes souffrent eux aussi de cette forme d'addiction. Les médias ont repris ces derniers jours un fait divers qui s'est produit en 2010: un homme et une femme avaient été arrêtés pour avoir laissé mourir de faim leur bébé de 3 mois, dont ils n'avaient pas le temps de s'occuper parce qu'ils passaient la majeure partie de leur temps rivés à leur jeu en ligne, consistant à élever un bébé virtuel!
La tension demeure palpable
"Le smartphone, c'est aussi un moyen de chasser le stress d'une vie active trop intense, ou d'inquiétudes nées d'autres dangers", explique un professeur sud-coréen rencontré à Séoul. Pollution de l'air venue de Chine, compétition économique, craintes nées des risques de conflits dans les Etats voisins, avec la Corée du Nord au premier plan, sont quelques-unes de ces autres sources d'inquiétude. Même si des négociations sont en train de s'amorcer avec le voisin du nord après une période plutôt délicate, la tension demeure palpable. Une illustration concrète: l'augmentation récente, sur les quais de chaque station métro, des distributeurs de masques à gaz censés protéger la population en cas d'attaque nucléaire.