A Zurich, l’avocat Hans-Jakob Heitz, agissant au nom des petits porteurs de titres UBS floués dans l’aventure, veut voir les anciens responsables d’UBS répondre de leurs actes et passer en jugement. En vue de l’assemblée des actionnaires du 28 avril prochain, il s’efforce de rassembler suffisamment de voix pour soutenir sa plainte. Parmi les fonds institutionnels et les organisations qui l’appuient, figure un autre village d’Asterix, l’association d’investisseurs ACTARES. Cette activiste de l’économie durable amène 270 000 actions dans le panier de la ménagère Heitz.
Roby Tschopp, vous êtes le directeur d’ACTARES. Quel est le contexte de l’action que vous menez pour appuyer l’avocat Heitz?
Roby Tschopp: C’est la dernière qui sonne. Après l’assemblée générale d’UBS, les actionnaires n’auront plus la possibilité d’obtenir du conseil d’administration des actions contre les responsables de la débâcle de 2007 avant l’expiration du délai de prescription, du moins en Suisse. Nous sommes clairs: nous voulons que les anciens dirigeants répondent de leurs actes. Par contre nous n’agissons pas dans le cadre des plaintes collectives déposées aux Etats-Unis. Nous estimons en effet qu’il serait absurde que les actionnaires se dédommagent sur leur propre fortune. Par ailleurs, à notre connaissance, la procédure n’est pas ouverte aux citoyens des autres pays.
Hans-Jakob Heitz se battit déjà comme un beau diable pour défendre les intérêts des petits actionnaires après le crash de Swissair. Les deux situations sont-elles comparables?
Les responsables de Swissair avaient à répondre sur le plan pénal. Dans le cas d’UBS, la plainte n’est que civile. Il y a donc une différence. Mais l’impression générale reste la même: dans les deux cas, nous avons affaire à des intouchables. Que l’Etat ait perdu de l’argent ou non ne compte pas, au bout du compte. Ce qui est grave, c’est la prise inconsidérée de risques. Cela dit, je ne demanderais rien de mieux que d’entendre un juge déclarer que les personnes mises en cause ne sont pas coupables. Mais pour cela il faut qu’il y ait une procédure. Il ne suffit pas de dire, comme M. Villiger, président d’UBS, que M. Ospel a déjà assez payé socialement parlant. Ce genre de justice implicite est choquant.
La BNS a garanti les fonds pourris d’UBS à hauteur de 60 milliards. Aujourd’hui, cette poubelle s’élève encore à 15 milliards. Va-t-on aussi passer l’éponge sur cet épisode pour le moins coûteux?
Il est possible qu’au bout du compte, la BNS parvienne à se dégager de tous ses avoirs toxiques. Mais ici aussi, la réflexion est du même ordre: l’Etat a dû se substituer à une entreprise privée. Ce n’est pas normal. Pourtant l’heure est à la lassitude. Le cabinet d’avocats Deminor, avec qui nous collaborons, constate une volonté de tourner la page dans les milieux institutionnels. On dirait que les marchés ont digéré le krach UBS.
Pourtant l’action UBS est loin de son niveau antérieur à 2007. Elle valait alors 80 francs, elle ne parvient pas aujourd’hui à passer le cap des 20 francs. Les victimes sont rationnelles. A l’époque, refroidies par le contexte désastreux, beaucoup d’actionnaires ont vendu les actions UBS. Le cours de 80 francs n’existe plus dans leur tête, ils l’ont liquidé d’une manière mentale et comptable. Pour un gestionnaire de fonds, l’actuel cours de référence est 12 francs.
Personne ne se fait beaucoup d’illusions mais dans le meilleur cas de figure, qui serait celui de l’ouverture d’une plainte contre les dirigeants de 2007, que pourrait-on attendre d’un verdict les condamnant?
Les visions s’écartent. Le conseil d’administration minimise la fortune des anciens dirigeants, qui n’atteindrait «que» quelques dizaines de millions. L’espoir d’une indemnisation large serait donc réduit. Mais d’un autre côté, le cabinet spécialisé Deminor s’étonne de l’absence d’assurance civile pour les administrateurs. Ce d’autant que la Bourse suisse a infligé une amende de 100 000 francs à UBS pour avoir tardé à informer le marché en 2007 des conséquences de la crise des subprimes. UBS se défend en se prétendant inattaquable mais son argument ne tient pas debout. Pour résumer, il y a comme une amnésie du marché. La politique du conseil d’administration de repousser dans le temps la question des responsabilités a fini par fonctionner.
Moralité: recommencez!…?
Quelques réglages ont été faits, comme les prescriptions sur les fonds propres qui ne sont pas un changement seulement cosmétique. Pour le reste, on n’a pas réussi à établir une claire distinction entre la banque de détail et la banque d’affaires. Quelque part, UBS vit toujours dans le même monde qu’autrefois.
Ce 22 février, à l’assemblée des actionnaires de Novartis, ACTARES compte refuser le système de rémunération «qui reste trop proche d’une mentalité d’autogratification». En ce qui concerne UBS, vous vous concentrez pour l’instant sur la responsabilité des dirigeants, mais la question de la rémunération est-elle réglée pour autant?
Chez Novartis, je dirais qu’il y a d’abord un problème Vasella dont le statut salarial est caricatural. Au Credit Suisse, le salaire du PDG – 80 millions l’an dernier – donne un goût de jamais-vu. Mais il n’y a plus systématiquement de course au record. Pour le reste, je dirais que l’application des principes de gouvernance va dans la direction des directives de l’OCDE. Le meilleur exemple est celui du double mandat. Nestlé, de même que Novartis l’an dernier, ont fini par y renoncer. La plupart des sociétés ne reviendront pas en arrière. D’une manière générale, la transparence s’améliore. On ne peut pas trop contester cela.
Interview: Christian Campiche, La Meduse