Comme les nombreuses expositions d’art contemporain accrochées désormais dans la plupart des édifices du Patrimoine pour redorer le blason de ces monuments et leur redonner vie en attirant un nouveau public, cette exposition n’aurait peut-être eu d’écho que chez un public d’initiés.
Au scandale !...
Mais le tapage médiatique suscité surtout par les tumultueuses manifestations des associations de défense du château dès son ouverture , relayées par les violentes invectives d’organisations d’extrême droite ont déclenché la polémique qui fait de ce non –événement , la une des journaux.
Et même si Jean–Jacques Aillagon, président du Musée et Domaine de Versailles qualifie ceux qui dénoncent «ces objets provocateurs qui défigurent le Château », «cet art dégénéré… cette profanation d’amoureux d’un", «Versailles inhabité…refuge de nostalgiques d’un ordre politique révolu…», le débat est lancé: chacun veut donner son avis, prendre position dans des blogs, tracts, entretiens qui se créent, s’organisent, se manifestent … Tarakami au Château , c’est un must, le nouveau dauphin, il faut l’avoir vu …C’est le sujet du jour,qui se répand comme une traînée de poudre,en passe de devenir une question nationale.
Et tout le monde se presse à Versailles. De simples curieux à l’affût de sensations nouvelles, des français qui n’avaient plus remis les pieds au château depuis les dernières sorties scolaires obligatoires de leur jeunesse, des bandes de jeunes, des classes entières, viennent allonger les files des 70% de visiteurs étrangers (dont seulement 5% de japonais!) par an; et même si parfois certains non avertis venus visiter surtout les appartements royaux et les jardins se sentent un peu floués par cette irruption de mangas incluse dans leur pass à 18e, l’excitation est à son comble. En ce dimanche de septembre, Journée du Patrimoine où, comme chaque année, les monuments et édifices historiques de France sont ouverts gratuitement au public, Versailles est pris d’assaut et …les services de sécurité sont sur les dents.
En piste!
Le Président du Domaine justifie le coût (2,5 millions d’euros) et le choix de cet artiste par son œuvre « habitée par un esprit jubilatoire, digne de se confronter au décor et à l’histoire de Versailles, lieu joyeux fait pour la fête … ». Et, en un jeu de piste spectaculaire, optique et carnavalesque, Takashi Tarakami, a dispersé 22 de ses œuvres dans le domaine de Versailles - châteaux, musée , appartements royaux de Mansart et légendaire galerie des glaces, jardins de Le notre - en des lieux légendaires créant la surprise et interpelant le visiteur médusé.
Caractérisant l’univers de l’artiste inspiré par les bandes dessinées japonaises et la tradition millénaire de l’art floral de son pays , des fleurs rieuses se déploient en feux d’artifices multicolores comme les bulles de savon, de terrifiants géants sculptés ,des objets gonflables ou minimalistes , des champignons bariolés , et autres créations cocasses et détonantes présentées pour la plupart pour la première fois au public surgissent aux détours des lieux les plus prestigieux entrainant dans une farandole amusante et enigmatique le spectateur pris au jeu . Dans un déferlement de matière , porcelaine, métal , argent peinture acrylique ,éclatant de milliers de couleurs de la palette de Tarakami , des dorés surtout comme cet Oval Buddha en bronze et feuilles d’or, sur le Parterre d’eau , jouent et répondent gaiement aux ors et lambris majestueux des plafonds et décors solennels des salons ,galeries et architecture végétale du lieu.
**Le maitre de l’Art Floral et le Roi –jardinier **
Dans le Salon de Mercure, des Kinoko, tabourets -champignons miniatures colorés pourvues d’yeux extraordinaires suppléent au vide en mobilier des salles du château, alors qu’au Salon de Vénus, sous le personnage de l’Amour , veillent KaiKai Kiki , gardiens spirituels en fibre de verre, fer, résine synthétique et acrylique, protégeant de leurs lances la statue du roi Soleil.
Parti à la recherche du petit lion doré du salon d’Abondance, zigzagant sans but le visiteur passera par la case du Salon d’Hercule ou Mister Pointy, un personnage de 8m de haut croisant culture Maya et Bouddhisme tibétain, repose sur un socle porté par une grenouille et des fleurs de lotus rivalisant avec la peinture éblouissante de François Le Moine … jusqu’au clou de la visite . La Galerie des Glaces , qui provoque un émoi vertigineux par les reflets de couleurs démultipliés à l’infini des tiges en circonvolutions du monstre floral the Malongo flower (créature dérivée du film japonais), en fibres de verre, fer, peinture à l’huile et acrylique , pièce maîtresse de l’art végétal de l’artiste par ailleurs enseignant depuis près d’une décennie l’art de la fleur dans ses ateliers de Tokyo. Certains y verront un clin d’œil amusé à Louis XIV passionné des jardins!
A l’issue de ce parcours ludique et éblouissant, Tarakami partisan du va-et-vient entre les cultures et les siècles, en jouant sur les contrastes Japon et Occident, passé/présent, grand art et arts « mineurs », nous laisse entrevoir en filigrane son propos: être intronisé au château et dialoguer par-dessus les siècles avec Le Roi rayonnant qui par sa passion des jardins en fêtes et sa curiosité esthétique avait fait du Versailles d’avant la révolution, une des cours d’Europe où en dépit de l’apparat et du protocole, l’on s’ennuyait le moins.
Au « Louis XIV doit se retourner dans sa tombe ! » scandalisé d’un visiteur répondent en écho d’autres « Marie –Antoinette avait fait aussi scandale à son époque et ….le Roi Soleil avec son côté mégalo aurait bien aimé créer cette controverse et faire encore parler des lieux ! » A suivre …