Ecoutez Philipp Hildebrand et vous serez rassuré sur l’état de santé des brasseurs d’argent. L’épidémie ne les a pas abattus, oh, pas du tout! C’est dans le quotidien le Temps qu’il livre une assez longue interview, l’ancien banquier central helvétique, aujourd’hui numéro deux du groupe américain BlackRock, le plus important gestionnaire d’actifs au monde. Ne vous avisez pas de compter les milliers de milliards que gère cette société, vous pourriez ne pas vous en sortir sans antimigraineux. L’homo dit sapiens a toujours été fasciné par l’immensité de ce qui le dépasse, les journalistes n’échappent pas au syndrome.
Mais que dit M. Hildebrand? Eh bien, à l’entendre, les dégâts dus au confinement devraient être « nettement inférieurs » à ceux de la crise de 2008 (…), la Suisse a réussi à éviter une crise bancaire (…), les entreprises sont protégées, « pour autant qu’elles affichent un bilan solide ». Bref aujourd’hui, « l’infrastructure n’a pas été détruite », « le système financier a été sauvé ». Merci, les banques centrales, qui ont « distribué directement de l’argent aux entreprises et aux ménages »! Une vraie « révolution » !
Seul souci entre les lignes: le fabricant de billets de banque a-t-il fait allégeance au Trésor de l’Etat? « La crise du Covid-19 a éliminé les frontières entre les politiques monétaire et budgétaire. Cette solution était nécessaire, même si elle m’inquiète sur le long terme ». Sous-entendez: il serait raisonnable que la BNS retrouve son indépendance.
Est-ce à dire qu’en attendant ce retour à la vertu académique, les grands argentiers du pays ont fait main basse sur la BNS, dépositaire de l’argent du peuple? L’explication du miracle de la manne de 5000 milliards promise en mars par les gouvernements occidentaux pour sortir le monde du chaos tiendrait-elle à ce tour de passe-passe? M. Hildebrand, un habitué des laboratoires d’idées et cercles choisis de décideurs, ne s’exprime pas à ce sujet, encore faudrait-il lui poser la question. Mais le doute est de mise.
On peut surtout s’interroger sur la conscience sociale des sorciers de Davos & Co. « Sauver » la finance planétaire est une chose, préserver l’emploi en est une autre. Que deviendront les millions de salariés de l’industrie laissés sur le carreau? Qui paiera la casse?