«Politique et affaires se sont dangereusement rapprochés ces dix dernières années. La République n’a peut-être jamais été totalement vierge de relations douteuses. Mais aujourd’hui la collusion est publique. Les liens entre les dirigeants de la droite et les grands patrons sont mis au grand jour», analyse ce couple de sociologues.
Journaliste d’investigation et écrivain franco-suisse, Ian Hamel parvient au même constat. «Sarko & Cie», son dernier livre, décortique les dysfonctionnements du système étatique en France où l’intérêt public semble passer au deuxième plan dans la hiérarchie des soucis du président. Le mandat de Nicolas Sarkozy, relève l’auteur, marque une profonde cassure dans l’histoire du pays car il rompt avec une certaine pudeur présidentielle dans le rapport à l’argent. Il révèle aussi un double discours. Sarkozy, qui avait juré de démissionner de sa fonction de coprince d’Andorre si le G20 ne réglait pas la question des paradis fiscaux, attaque la Suisse. Mais il ne fait rien pour dissuader certaines grosses fortunes de s’y établir.
Réseau genevois
Hamel en veut pour preuve les relations que Sarkozy, ancien avocat d’affaires, entretenait avec le banquier genevois Jacques Heyer, du temps où il occupait la mairie de Neuilly. Heyer voyait aussi le tapis rouge se dérouler à ses pieds à Bercy, quand Sarkozy était ministre du budget dans le gouvernement Balladur. Condamné pour recel d’abus de biens sociaux, Heyer mène aujourd’hui une vie tranquille à Saint-Tropez. «En soi, il n’y a rien d’illégal à cela mais on peut trouver surprenant que l’ancien gestionnaire de fortune n’ait jamais eu à craindre de représailles de la part de ses anciens clients», commente Ian Hamel. Lequel cite en passant le cas de Patrick Balkany, ami d’enfance de Sarkozy et maire de Levallois-Perret. Ce pilier du réseau sarkozyen aurait été sur les rangs pour investir 15 millions de francs dans un appartement à Rive, au centre-ville de Genève. «Balkany a été coiffé au poteau par un autre acheteur. Là aussi, la démarche démontre une curieuse vision des choses pour l’élu d’un parti – l’UMP, dont est issu Sarkozy -, qui axe sa campagne sur la lutte contre l’évasion fiscale», s’interroge Hamel.
On comprend entre les lignes que pour mériter la considération de Sarkozy, mieux vaut ne pas être fauché. Ni encombrant. La disgrâce touche sans pitié quiconque ne sert plus les intérêts du président. Dans «Sarko m’a tuer», les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme donnent la parole aux « damnés du sarkozysme, ces préfets, gendarmes, journalistes, policiers, députés, magistrats, impitoyablement mis à l’écart pour avoir «suscité le courroux, puis la vindicte d’un homme à la rancune légendaire». Beaucoup ne s’en sont jamais remis et vivent depuis dans l’insomnie et la peur.
Télé soumise
Le même raisonnement a conduit Nicolas Sarkozy à lâcher ses «amis» africains quand ils ne lui ont plus été utiles. Eloquent est le cas du lycée français de Tunis, convoité en son temps par l’épouse de Ben Ali. «Sarkozy n’a pas levé le petit doigt pour s’opposer à la mainmise de la présidente. Quand il laissera tomber Ben Ali, sa volte-face n’en sera que plus spectaculaire», résume Ian Hamel à l’intention de «La Liberté». Le même topo se répétera avec Khadafi. «L’ancien maître de la Libye avait ridiculisé Sarkozy en campant dans les jardins de l’Elysée. En plus il ne lui avait pas acheté de Rafale, l’avion de chasse construit par Dassault. On connaît la suite. Le système français implique des relations croisées entre les hommes d’affaires et le pouvoir. Les marchés d’Etat se nouent au plus haut niveau. Dassault possède aussi le ‘Figaro’. »
Les médias dans le coup, la boucle est bouclée… Dès 1978, Sarkozy s’adjugeait déjà les bonnes grâces du magnat de la presse Robert Hersant en faisant campagne de manière musclée en faveur de ce dernier. Aujourd’hui l’enjeu est avant tout la télévision. Michel et Monique Pinçon-Charlot, qui consacrent un chapitre au rôle des médias dans «la soumission librement consentie», n’y vont pas par quatre chemins. «La boîte à images tend à devenir un formidable instrument de contrôle des esprits qu’il importe de faire fonctionner au service de l’oligarchie et de son président».
«Le président des riches – Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy», par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La Découverte/Poche, 2011.
** «Sarko et Cie – La République des copains et des réseaux», par Ian Hamel, L’Archipel 2011.**
«Sarko m’a tuer», par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Stock, 2011.