« Promouvoir une économie verte, épargnant les ressources naturelles de la planète et éradiquant la pauvreté ». L’engagement adopté dans la déclaration finale de Rio+20 ne trompe personne. Les Etats font de belles promesses mais ils ne pourront pas les honorer: ils ne mettront pas un sou dans le sauvetage de la planète. A l’instar de Greenpeace, les ONG crient leur colère, Rio+20 était un sommet pour rien. Un observateur genevois, spécialiste des questions environnementales, complète: « il faut abandonner ce type de conférence. Le développement durable est une récupération diabolique, une escroquerie. Comment les mouvements verts ont-ils pu tomber si facilement dans le panneau? ».
A se demander ce qui reste de l’élan mis en place lors du premier grand rendez-vous mondial consacré à la réflexion sur les atteintes industrielles à l’environnement. C’était il y a quarante ans. En 1972, paraît le rapport «Halte à la croissance?» publié à la demande du Club de Rome par une équipe du Massachusetts Institute of Technology. On est à la fin des «trente glorieuses» qui ont vu une croissance industrielle sans précédent: 7 % par année, soit un doublement tous les dix ans.
En juin de la même année, le gouvernement suédois décide de s’inspirer du « Printemps silencieux », un ouvrage qui marque alors son époque. Ecrit par la biologiste américaine Rachel Louise Carlson, ce livre dénonce les conséquences néfaste des pesticides et inspire un mouvement qui aboutira à la la création de l’Agence pour la Protection de l’Environnement aux Etats-Unis. Une conférence internationale est convoquée à Stockholm. Elle sera un succès et aboutit à une Déclaration qui sera avalisée par les Nations Unies.
Dès lors, les uns après les autres, les gouvernements occidentaux se dotent d’organes officiels pour gérer la protection de l’environnement. La Suisse suit le mouvement. En 1973, l’année du premier choc pétrolier, elle crée l’Office fédéral de l’environnement. Dans la foulée, elle obtient l’installation à Genève du siège du Programme des Nations Unies pour l’Environnement . L’industriel du pétrole canadien Maurice Strong en devient son premier directeur. Pas pour très longtemps. En 1975, ce dernier s’en va, laissant la place à un Egyptien, Mostafa Tolba. Le centre de gravité de l’action environnementale se déplace vers le tiers monde, d’autant que Genève perd le siège du PNUE au profit de Nairobi.
De fait, le thème de l’environnement connaît au début des années 80 une première éclipse au profit des questions de développement. Celles-ci s’imposent dans l’agenda international avec la discussion alimentée par le rapport de la Commission indépendante du chancelier allemand Willy Brandt «Un programme de survie» et la conférence de Cancun de la CNUCED en 1981 sur le développement présidée par le premier Ministre canadien Pierre Elliot Trudeau et le Président mexicain Portillo. Parallèlement, la tentative du PNUE de relancer le processus à l’occasion des dix ans de Stockholm échoue, en dépit du soutien de la Suède et des pays nordiques.
Seveso, Olympic Bravery, Boehlen, Amoco Cadiz, Three Miles Island: les grandes catastrophes environnementales et industrielles qui jalonneront la fin des années septante et le début de la décennie suivante ne provoqueront pas un nouveau déclic, comme l’espère le PNUE, dont les efforts pour revenir sur le devant de la scène s’avèrent vains.
C’est le moment que choisit la Suisse pour proposer ses bons offices. Consciente que la relation entre environnement et développement s’installe progressivement dans les consciences, elle prend l’initiative de relancer le débat en proposant qu’une Commission indépendante sur l’environnement et le développement se réunisse à Genève sur le modèle de la Commission Brandt pour permettre que les exigences environnementales – qui ne cessèrent de s’amplifier – soient dûment prises en compte dans l’agenda international.
Son engagement aboutit en dépit des réticences du secrétaire exécutif du PNUE, grâce à l’interaction conjointe de trois «Genevois», le vice-directeur de l’Office fédéral de l’environnement, Alain Clerc, le directeur du Programme des Nations Unies chargé de la coordination avec les Nations Unies, l’Indien Neelam Merani, qui déploie ses activités depuis Genève, et le maire de la Ville de Genève, le radical Guy-Olivier Segond qui met à disposition le Palais Wilson en vue d’héberger la nouvelle Commission spéciale des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement.
La proposition suisse est endossée par le PNUE puis par l’Assemblée générale des Nations Unies et la Commission spéciale, largement financée par le gouvernement helvétique, peut débuter ses travaux en 1983. Elle est présidée par le Norvégienne Gro Harlem Brundtland alors que les «Genevois» avaient initialement proposé le nom de Jimmy Carter qui fut refusé par le Président Reagan. C’est sous la direction d’un autre Canadien Jim Mc Neil, directeur de l’environnement à l’OCDE, proposé par Alain Clerc, qu’un Secrétariat d’une vingtaine de collaborateurs prépare son rapport final «Notre avenir à tous» qui deviendra quatre ans plus tard la bible de l’environnement et popularisera l’expression de «développement durable», un concept né à Founex en 1971, lors d’un séminaire consacré aux aspects environnementaux du développement. La Commission servira de base au lancement du Sommet de la Terre en 1992.
Les conclusions du rapport Brundtland sont endossées par le PNUE et par l’Assemblée générale des Nations Unies, ce qui permet à la Suisse, sous l’impulsion de l’Office fédéral de l’environnement, de peser de tout son poids sur le plan international, pour convoquer, 20 ans après Stockholm, le Sommet de Rio.
La Suisse offre une nouvelle fois ses bons offices et, notamment grâce à l’entremise d’un quatrième genevois, le Conseiller d’Etat Christian Grobet, des bureaux sont mis à la disposition du Secrétariat chargé, depuis Genève, de préparer le Sommet. La dénomination «Sommet de la Terre» est suggérée par Alain Clerc au secrétaire général de la conférence de Rio Maurice Strong, l’ancien premier secrétaire exécutif du PNUE.
Le Sommet de Rio redonne toute son importance à l’environnement au niveau international en y incluant deux acteurs supplémentaires, les représentants de la société civile qui avaient été fortement sollicités lors de la préparation du rapport Brundtland «Notre avenir à tous» et le secteur privé à travers l’engagement de l’industriel suisse Stephan Schmidheiny qui est présenté à Maurice Strong par Alain Clerc. Sous la houlette de Stephan Schmidheiny, les grands patrons de nombreuses multinationales se regroupent et rédigent leur propre contribution au Sommet de la Terre dans le cadre d’un rapport publié par le Bureau mondial sur le développement durable connu sous le nom de «Changing course» qui engage officiellement les entreprises privées en les contraignant à intégrer l’environnement dans la gestion de leurs activités.
Essentiellement, le Sommet de la Terre aboutit à la sacralisation du principe du développement durable, le fondement de ce que l’on nomme aujourd’hui l’économie verte. Il permet aussi de consacrer l’engagement de la communauté internationale sur le changement climatique avec la signature de la Convention sur le changement climatique qui a lieu à Rio en marge du Sommet de la Terre, trois ans après l’une des principales conférence que Genève a accueilli pour préparer cette convention sous la présidence du Président de la Confédération suisse Flavio Cotti.
Mais en dépit de ce succès majeur et retentissant, les questions environnementales ne parviennent pas s’imposer dans l’agenda international. Vingt ans après Rio, en 2012, le PNUE n’assume plus aucune responsabilité et reste inaudible. Rio+20 n’a pas réussi à proposer un document de nature à rallier la communauté internationale, les questions environnementales ont disparu des priorités gouvernementales tant dans les pays en développement que dans les pays industrialisés.
Ces derniers frappés par la crise de 2008 ont d’autres priorités. Les pays émergents misent avant tout sur l’industrialisation et la stimulation de la consommation. Quant aux pays en développement, ils restent cruellement dépourvus des moyens financiers pour combler leur retard. Aujourd’hui, les questions environnementales subissent une deuxième éclipse. La dépréciation de la dimension environnementale est d’autant plus grave que le seul sujet qui occupe encore les esprits, sans pour autant que cela se traduise par des actes, est le changement climatique qui ne représente pourtant que l’une des très nombreuses menaces qui pèsent sur l’environnement. Cette situation résulte à la fois d’erreurs de jugements des environnementalistes et de la mise en œuvre des théories néo-libérales réduisant comme peau de chagrin le rôle des pouvoirs publics.
Avec le recul, le rôle ambigu qu’ont tenu dans la préparation de Rio les patrons de multinationales apparaît dans toute sa splendeur. La veille du premier Sommet de la Terre, en 1992, est publié l’Appel de Heidelberg, un document signé par de nombreux Prix Nobel. Ces derniers jettent l’opprobre sur les milieux écologistes et appellent à une solution des problèmes environnementaux grâce au progrès scientifique et industriel synthétisé dans la notion du développement durable. Dans son édition du 18 juin 2012, le quotidien «Le Monde» publie l’aveu du coordinateur de l’Appel de Heidelberg, le journaliste Michel Salomon. Ce dernier confirme que l’Appel a été une émanation d’un cabinet de conseil parisien, agissant pour le compte du lobby de l’amiante. Il est pour le moins cocasse de noter que deux des promoteurs les plus ardents des mécanismes de marché pour réduire la pollution, le Canadien Maurice Strong et le Suisse Stephan Schmidheiny soient poursuivis en justice, le deuxième dans le cadre du procès Eternit en Italie, actionné par des victimes de l’amiante.
«Le seul espoir aujourd’hui de revenir à une gestion plus efficace de notre environnement, est d’engager la dimension environnementale non plus au niveau des Etats ou de la coopération internationale mais en s’appuyant sur les nouveaux acteurs du développement que sont les pouvoirs locaux et régionaux beaucoup plus sensibles à la qualité de vie de leurs citoyens», commente Alain Clerc. «C’est le message de la seule femme couronnée du Nobel de l’économie, l’Américaine Elinor Ostrom qui tranche en faveur d’une gestion par les pouvoirs régionaux des ressources naturelles en soulignant qu’il ne peut y avoir un jeu unique de règles pour des systèmes écologiques qui diffèrent. Cela reviendrait à renverser le slogan du développement durable: «penser globalement, agir localement». Les pouvoirs locaux doivent redonner du sens à leur action environnementale et l’insérer dans une perspective globalisante à plus long terme. Il s’agit dorénavant de penser l’action locale environnementale pour entraîner ensuite une dynamique globale. C’est un défi immense qui doit mobiliser les responsables régionaux, tout particulièrement, dans un premier temps, ceux des pays industrialisés. Et pour cela, nous n’avons pas besoin de Rio».