Les journaux continuent-ils à s’investir avec suffisamment de sens critique dans le débat que suscite inévitablement toute œuvre architecturale controversée?
Dans «24 Heures» du 30 août 2012, le rédacteur en chef Thierry Meyer raconte la polémique qui mit Lausanne sens dessus dessous en 1930 à propos de la tour Bel-Air. Envisagé en plein cœur de la métropole vaudoise par une famille d’entrepreneurs zurichois, les Scotoni, ce gratte-ciel provoqua une levée de boucliers de la part du Patrimoine suisse et d’une poignée d’intellectuels parmi lesquels l’écrivain Charles Ferdinand Ramuz. Du côté de la presse, la «Gazette de Lausanne» prit la tête de la contestation. En vain: emmenés par des députés socialistes, les partisans du projet finirent par l’emporter haut la main. La tour Bel-Air fut achevée en 1931 par l’architecte Alfonse Laverrière.
On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec la situation actuelle dans une ville, Lausanne, où les projets ambitieux pullulent comme des petits pains. L’auteur de l’article paru dans «24 Heures» relève d’ailleurs que le débat de 1930 «en rappelle d’autres, toujours en cours…». Une allusion très claire aux oppositions qui se font jour dans la population contre le projet immobilier dit Métamorphose qui s’articule autour du déplacement du stade de football, l’agrandissement de la gare CFF ou la construction d’un nouveau musée des beaux-arts, notamment.
Lancée l’air de rien, la petite phrase du quotidien vaudois est aussi une manière camouflée de jeter le discrédit sur les empêcheurs de tourner en rond, ces rabat-joie qui freinent l’essor du capitalisme au motif que l’âme locale doit être respectée. Aujourd’hui qui songerait à dénigrer la tour Bel-Air? Voyez, avec le recul, comme les arguments des «neinsager» des années trente paraissent vains! Prenez-en de la graine!
En critiquant le projet de la tour en 1930, la «Gazette» n’a peut-être pas eu la plus brillante des intuitions. Mais là n’est pas l’objet du discours. L’essentiel est que la fronde verbale menée par ce journal faisait honneur à la démocratie. Peut-on en dire autant aujourd’hui? Entre 1930 et 2012 existe une différence de taille, c’est l’absence d’un contradicteur digne de ce nom dans la presse traditionnelle. La «Gazette» étant morte, il ne reste plus que «24 Heures» pour commenter l’actualité locale. Un journal qui a pris jusqu’ici clairement le parti des mots d’ordre des maîtres d’ouvrage dans les projets précités. Comment, dès lors, parler d’un débat médiatique?