Jean-Marie Fleury, l’éditeur des hebdomadaires GHI et Lausanne-Cités n’y va pas avec le dos de la cuiller dans le dernier numéro des deux grands tous ménages lémaniques. L’homme d’affaires genevois reproche au monde politique d’exclure les gratuits de la manne octroyée aux médias touchés par la crise. A savoir notamment un service postal avantageux.
M. Fleury a raison sur le fond. Qu’est-ce qui fait la qualité de l’information? Quel média mérite d’être soutenu par l’Etat? La presse gratuite travaille-t-elle forcément moins bien que les journaux payants? Si l’on exclut le gratuit du géant alémanique Tamedia, elle a pour elle une certaine indépendance mais surtout l’impertinence et la curiosité, atouts nécessaires dans l’optique d’assurer la bonne marche du débat démocratique. Deux exemples: l’affaire du Palais de Beaulieu – un trou de plusieurs millions – et la crise du Covid sous l’angle de la pénurie de désinfectant imputable à la mise à mort irresponsable de la Régie fédérale des alcools. Sur ces deux thèmes, le rédacteur en chef de Lausanne-Cités n’a pas craint de lever le lièvre du scandale en dénonçant des magouilles politiques, aux antipodes du ronron des médias dits « mainstream », relais des mots d’ordre officiels.
L’éditeur genevois n’est pas naïf au point d’ignorer la loi des rapports de force. Si le monde politique donne de l’argent à la presse après avoir craché si longtemps sur l’aide directe, c’est qu’il se rend compte de la gravité de la situation en termes nullement désintéressés. Jusqu’à nouvel ordre, les médias, surtout audiovisuels, restent le fil ténu qui relie l’élu à l’électeur. Pour que cette mission soit assurée, point n’est besoin de balayer large. L’aide « utile » implique qu’il suffit de la concentrer sur le quotidien “traditionnel” de la région.
Il y a pourtant une faille dans l’argumentation de M. Fleury car ce dernier omet de rappeler que Lausanne-Cités bénéficie d’une subvention annuelle de 170.000 francs, octroyée par la ville de Lausanne. Laquelle obtient en échange un espace pour diffuser ses informations. Cet accord conclu en 2018, avait permis à M. Fleury de sauver l’hebdomadaire lausannois, coupant du même coup l’herbe sous les pieds de Christoph Blocher, candidat au rachat. Si le ténor UDC, qui convoite depuis longtemps une tribune en Suisse romande, était parvenu à ses fins, nul doute qu’il n’aurait pas levé le petit doigt pour se plaindre de l’indifférence de Berne. Au parlement, son parti a voté contre le train de mesures en faveur des médias…