Pardon, Greta, si ta jeunesse est foutue à cause des vieux cons comme moi. Prends ce pistolet et tire-moi une balle dans la tempe, je l’aurai bien mérité.
Tu sais, enfant, j’étais terrorisé par la bombe. Et la plupart de mes jeunes contemporains partageaient cette angoisse. Elle va nous sauter à la figure, la salope! Le monde était partagé en deux blocs, les bons, les méchants. Pas de conciliation possible, nous devions en venir aux neutrons, l’issue fatale paraissait inévitable, nous n’avions pas d’avenir, priez la Vierge de Fatima!
L’ancienne génération était forcément coupable, puisque c’est dans ses rangs que se recrutaient les savants qui ont mis au point cette arme de destruction massive. Les politiciens étaient déjà complices. Leur marionnettiste aussi: l’ensemble militaro-industriel qui dirige le monde. En 1968 nous avons fait la révolution, comme toi, comme les gens de ton âge.
Cinquante après, qu’est-ce qui a changé, dis-moi? Rien, à part la procréation médicalement assistée. Les prêtres ne se marient toujours pas. Le monde n’a même pas pété, comme prévu. Une centrale nucléaire, par ci, par là, des parlementaires qui s’agitent, doit-on démanteler, oui? non! L’échec, au bout du compte. Un héritage lourd à transmettre. Mais le poids d’un destin collectif que l’être humain véhicule depuis des millénaires. Une tragédie sans fin, manipulée par ces démons que sont la lâcheté, la violence et la haine. L’Apocalypse, les textes sacrés nous y préparent depuis la nuit des temps. En l’an 1000, l’Europe affolée implorait le salut divin dans les églises.
Aujourd’hui les labos d’apprentis sorciers ont remplacé les moines érudits, la com’ a fait son irruption dans le débat sur l’avenir de l’humanité. Un prince d’opérette sponsorise les théories sur la fin du monde, qui font des ravages dans les écoles. Les enseignants ne savent plus à quel saint se vouer devant des enfants irrespectueux – forcément, on leur promet la mort subite, qu’ont-ils à perdre?
Et toi, Greta, qu’as-tu à gagner? Quand tu atteindras un âge dit raisonnable, comment réfléchiras-tu? Que vivront tes enfants? Que diront-ils de toi? En 1968, l’abbé Bernard qui animait nos retraites au Collège nous avertissait: « Vous contestez vos parents aujourd’hui, mais prenez garde à une chose: demain vous risquez d’être dépassés par vos descendants qui seront encore plus critiques à votre égard! ». Il avait tellement raison.
Trouvé ce proverbe arabe: « Dans une contestation ne te laisse pas gagner par la colère. Elle t’enlève une partie de ta force, et te livre désarmé à ton ennemi ». Médite-le, Greta.