Du journal régional au grand groupe de presse, tous la réclament la bouche en coeur, désormais. Il y a quelques années, ils la rejetaient avec mépris, pourtant. Au nom du libéralisme économique. Et renvoyaient toutes les voix dissidentes prier dans le désert. Parce qu’elles ne ne voyaient pas d’autre alternative à la crise que le soutien public. La chute de la publicité s’accélérant, la presse écrite risquait l’implosion, un grounding à la Swissair, écrivions-nous en 2012. L’avenir nous donne raison mais il est désormais bien tard. Trop tard?
Le bon exemple vient de Fribourg dont l’Etat a accordé plus de 5 millions à ses médias, dont une partie non négligeable au quasi-monopole régional La Liberté. Une aide ponctuelle qui permet de soutenir la qualité du contenu de ce quotidien, parmi les meilleurs de Suisse désormais grâce à des plumes telles que Pascal Bertschy et Jean Ammann, perles de dérision et d’humour, vertus négligées ailleurs en Suisse romande.
Le mauvais exemple vient de Suisse allemande, terre d’origine de TX Group, Tamedia pour les intimes, géant de la presse écrite qui contrôle une myriade de journaux entre St-Gall et Genève, dont 20 minutes, Bilan, 24 Heures et la Tribune de Genève. Mais aussi patrie de AZ Medien, groupe de presse arguvien contrôlé par la famille Wanner et la NZZ ou Ringier (Blick, le Temps). Aux mains de la famille Coninx, TX Group accumule les bénéfices, octroyant de généreux dividendes à ses actionnaires, à hauteur de plusieurs dizaines de millions. Pourtant il a eu le culot d’imposer le travail partiel à ses journalistes au début de la crise du coronavirus, faisant ainsi appel à la caisse fédérale. 3000 personnes ont signé une lettre et une pétition qui a été envoyée au président du groupe, Pietro Supino. Lequel, s’il n’a pas daigné répondre directement, n’en a pas moins cédé sur le point des salaires. Finalement, les employés seront rémunérés à 100% au lieu de subir une réduction de 11%.
L’incertitude la plus totale règne sur l’après RHT, réduction de l’horaire de travail. Cette mesure sera-t-elle reconduite en septembre, au terme des six mois réglementaires, ou bien les postes de journalistes tomberont-ils comme des mouches? On tremble dans les rédactions. L’heure de vérité s’approche à grands pas. Les collectivité publiques ne paraissent plus pressées d’intervenir. Pourquoi sauver un titre qui vous critique allègrement tout au long de l’année? Trois conseillers d’Etat romands sont en délicatesse avec le correspondant romand du Tages-Anzeiger. Les affaires qui les opposent sont loin d’être réglées.
En termes de liberté de la presse, la Suisse occupe une place enviable au classement de Reporters sans frontières. La covid aura-t-elle raison de cette illusion, remettra-t-elle l’église au milieu du village?