A Genève depuis 33 ans –puisque j’y ai trouvé l’âme sœur-, je me sens profondément genevoise. Mais les débuts furent difficiles. Mes sœurs de sang me manquaient. Il faut dire qu’à l’époque, les Alémaniques étaient aussi « malvenus » à Genève que les frontaliers et étrangers. C’est l’une de mes sœurs politiques qui me reprocha, un sale jour, d’avoir eu le culot d’échanger deux ou trois mots en schwytzertütsch avec un collègue bilingue !
Les étrangers et frontaliers étaient, de leur côté, la cible de Vigilance, mouvance sœur de l’actuel MCG, qui rafla 19 sièges au Grand Conseil en 1985. Puis qui, peu à peu, s’éteignit (ce qui laisse présager du sort du MCG !). Cette explosion de Vigilance m’incita à ne pas relâcher la mienne, et à rejoindre un parti de gauche, engagé pour une Suisse ouverte, tolérante et multicolore ! J’ai bien fait, car j’y ai trouvé des sœurs de cœur et de pensée, qui m’ont appris le féminisme.
Aujourd’hui, je pense à d’autres sœurs, nos sœurs d’Afrique du Nord. Un journaliste d’un titre dominical alémanique accuse les féministes occidentales de les oublier. En fait d’oubli, c’est lui qui occulte mes combats contre les mutilations sexuelles, dont sont victimes beaucoup de ces femmes. Oubliés, aussi, les réseaux que des politiciennes suisses ont créés avec des femmes africaines, comme nos interventions contre la violence à l’égard des migrantes ! Si nous sommes solidaires des luttes de ces femmes pour leurs droits, n’oublions pas non plus, comme le fait ce journaliste, qu’elles les défendent elles-mêmes. Belles sœurs de Sidi Bouzid, du Caire et de Benghazi, je rends hommage à votre courage et votre soif de liberté ! Comme vous, les femmes ont toujours pleinement pris part aux révolutions, des sans-culottes de la Révolution française aux ouvrières engagées dans la lutte socialiste, en passant par les « pétroleuses » de la Commune de Paris.
Avant de donner à leurs voisins musulmans des leçons de morale façon bonne sœur, les pays de culture chrétienne devraient se souvenir que le Pakistan, par exemple, a eu une présidente avant la Suisse et la France (qui attend toujours la sienne !). Que les Tunisiennes et les Egyptiennes ont pu voter une quinzaine d’années avant les Suissesses. Ou encore que l’avortement a été légalisé en Tunisie avant de l’être en France. Certes, le pouvoir demeure largement masculin, mais c’est aussi le cas en Suisse.
En Suisse aussi d’ailleurs, les femmes s’engagent massivement dans la lutte syndicale, ce que certains journalistes « oublient ». Ici comme là-bas, les médias se font les complices de l’invisibilité des femmes. Nous sommes pourtant engagées, et engagées pour la même cause : la défense du droit des femmes, qui passe par la démocratie. A ce propos, mes sœurs nord-africaines, ne voyez-vous rien venir?
Maria Roth-Bernasconi, conseillère nationale, co-présidente des femmes socialistes suisses