En 1971, Katharine Graham, l’éditrice du « Washington Post », envoie balader un membre de son conseil d’administration, affolé à l’idée que la rédaction du quotidien puisse publier une enquête sur le vain engagement de l’armée américaine au Vietnam. Trois présidents américains ont tu une évidence, l’Amérique ne gagnerait jamais la guerre. Des milliers de GI’s sont morts pour rien, sur l’autel de la raison d’Etat et des ventes d’armes. Le quotidien de la capitale n’est pas encore celui qui déboulonnera un président américain. Sur la scène médiatique, il n’est que le faire-valoir du « New York Times » à qui sont réservés les plus grands scoops de l’Amérique. Mais cette fois il tient le bon filon. Katharine Graham, veuve du propriétaire du « WashingtonPost », a des scrupules, elle hésite sous la pression de ses administrateurs. La révélation de ce scandale, aboient-ils, coûtera très cher au journal, elle compromettra son entrée en bourse et finira carrément par le tuer. Ben Bradlee, le directeur du quotidien, flaire au contraire le coup qui sortira le Post de sa condition de journal régional. Laissant parler son intuition, Katharine Graham lui donne courageusement le feu vert. Bien lui en prend. L’ensemble de la presse s’empare de l’affaire, cautionnant le Post dont la consécration trouvera sa genèse quelques mois plus tard dans les souterrains du Watergate.
En sortant de la salle projetant film on se dit que le monde a bien changé. Les Panama et autres Paradise Papers ne sont que de la poudre aux yeux. Instrumentalisées par le fisc, ces recherches n’ont rien à voir avec un journalisme trempé de ténacité et courage. Quel titre oserait publier aujourd’hui des documents démontant les prétextes des interventions américaines en Syrie ou en Afghanistan? En France, les journalistes n’ont plus accès aux lambris de l’Elysée, aux Etats-Unis le président Trump les accuse de propager des « fake news ». Et c’est bien cette évolution délétère au chapitre de la qualité de l’information qui a incité Spielberg à tourner Pentagon Papers, vite fait bien fait, l’an dernier. Un travail qui prend le relais d’autres initiatives entretenant la mémoire du patrimoine de l’information. Comme si elle devenait une espèce en voie de disparition, la presse inspire. Rien à voir avec le climat qui avait entouré le mythique « Les hommes du président », hymne à la gloire du journalisme d’investigation, relatant l’affaire du Watergate en 1976. Quarante ans après, les films sur le journalisme s’égrènent d’une année à l’autre sous le signe de la nostalgie, pire de la résignation. En 2015, “Spotlight” s’immergeait certes dans la cellule d’investigation du “Boston Globe” qui révéla une affaire de scandales sexuels au sein de l’Eglise catholique. Mais le pouvoir de conviction manquait. La même année, “Truth” racontait l’histoire malheureuse d’une réalisatrice de la chaîne américaine CBS, brutalement licenciée parce qu’elle voulut rendre public un document jetant une tache sur le patriotisme de George W. Bush à la veille de sa réélection en 2004. On est très loin de la grande période du Post et de l’idéal de Katharine Graham.
En Suisse, le cinéaste Frédéric Gonseth a tenté de prendre le contrepied de cette évolution avec son documentaire « Le printemps du journalisme », tourné en 2017. Mais à l’heure où Tamedia se prépare à d’autres restructurations et alors que l’ATS lutte pour sa survie, le titre paraît bien optimiste…