Les experts du FMI doivent se rendre à l’évidence: avec la Hongrie, ils sont tombés sur un os. Ce pays n’est pas la Grèce, il n’est pas prêt à n’importe quel compromis pour toucher le jackpot. Ses habitants agissent en connaissance de cause. En 2008, les Hongrois ont commencé à vivre au régime du FMI. En échange des 25 milliards accordés, ils ont été contraints de se saigner. Deux ans plus tard, exsangues, ils réclamaient à hauts cris le retour d’Orbán aux affaires.
Par ses bravades et son style autoritaire, le premier ministre n’a pas tardé à se mettre tout l’establishment de Bruxelles sur le dos. Il est rapidement devenu le mouton noir de l’Europe, montré du doigt par la plupart des médias. Cédant à un réflexe grégaire qu’alimente une profonde méconnaissance de l’histoire et de la réalité hongroises, les journaux étrangers comparent Orbán à un caporal de sinistre mémoire, raillent ses résultats économiques, lui attribuent la paupérisation croissante dans le pays et une politique revancharde dans ses relations avec les Etats voisins où vivent encore plus de 2 millions de personnes de souche hongroise. Pourtant c’est sous son prédécesseur, le très impopulaire millionnaire Gyurcsány, un ancien communiste, que le déficit budgétaire a commencé à se creuser dangereusement.
Dans Hu-lala, journal en ligne indépendant francophone basé à Budapest, deux jeunes observateurs français, un journaliste et un économiste, débattent non sans humour des événements de l’année 2012. Ils relèvent que nombre de mesures populistes adoptées par Orbán, comme la taxation des chiens qui ne sont pas de race hongroise, ont rarement été suivies d’effets. En Hongrie, elles n’ont été qu’une tempête dans un verre d’eau alors qu’à l’étranger elles étaient au contraire montées en épingle. Faudrait-il, pour que la Hongrie cesse d’être la mal-aimée de l’Europe, que Budapest devienne, comme Athènes, un grand importateur d’armes françaises ou allemandes?
Pour l’heure son isolement est tel que le FMI a beau jeu de lui coller tous les méfaits du monde. Une couleuvre ingrate à avaler pour la Hongrie qui se veut un laboratoire au coeur de l’Europe. Elle est par exemple le seul pays européen, avec la Croatie, à avoir interdit sur son sol la culture d’OGM. Sur le plan agricole, elle mène une réforme osée, axée sur la décroissance, que l’on peut assimiler à une véritable révolution à la cubaine. Une stratégie rurale, on le comprend, aux antipodes du modèle du FMI.
Est-ce cette révolution-là qui fait peur à Daniel Cohn Bendit? En janvier 2012, le député vert européen apostrophait Viktor Orbán à Strasbourg. L’ancien Gavroche de Nanterre a dû oublier qu’on le surnommait Dany le Rouge, à l’époque des événements de mai 68. Devenu soudain très consensuel, Cohn Bendit a qualifié Orbán de Chavez européen. Les médias ont donné un grand écho à l’affaire. De là à dire que ces mêmes médias sont à la solde du FMI, il y a un pas que la population hongroise franchit allègrement. Il se trouve peu de monde, même dans l’opposition, pour éprouver de la sympathie à l’égard d’une organisation tenue pour responsable de l’agravation de la crise sociale en Hongrie.
Peut-être bien qu’un jour le FMI finira bien par avoir la peau de Viktor Orbán, vu les pressions dantesques qui s’exercent sur ce petit pays isolé au coeur de l’Europe. La Hongrie redeviendra-t-elle un territoire à l’encan, en proie au pillage des prédateurs? Il ne faut pas le souhaiter car la situation pourrait alors devenir vraiment véritablement explosive, on ne peut jamais prévoir la réaction d’un peuple blessé. Les fonctionnaires du FMI porteraient alors une très lourde responsabilité dans la déstabilisation du centre de l’Europe. Bruxelles, qui laisse aller, aussi. Et les médias, une fois de plus, n’y verront que du feu.