30.000 morts. Tel est le bilan de la guerre en Libye, estime Patrick Haimzadeh, auteur du livre « Au cœur de la Libye de Kadhafi » (Lattès, 2011). Un bilan provisoire, puisque chaque jour apporte son lot important de victimes dans un pays où s’affrontent clans et tribus, ajoute cet ancien diplomate français en poste à Tripoli. Haimzadeh participait vendredi soir 4 mai 2012 à un débat organisé dans les locaux du journal en ligne parisien «Mediapart» sur le thème « Sarkozy-Kadhafi, le grand soupçon libyen ».
Le 28 avril, le site d’investigation jetait un énorme pavé dans la mare en soutenant que le régime de Mouammar Kadhafi avait décidé de financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Il appuyait ses dires avec un document présenté comme officiel. Le locataire de l’Elysée a aussitôt déposé plainte contre « Mediapart » en qualifiant le document de «faux». Aujourd’hui le journal en ligne persiste et signe. Il ajoute chaque jour de nouveaux éléments accréditant l’enquête des journalistes Fabrice Arfi et Karl Laske. A son tour, «Mediapart» a déposé plainte pour dénonciation calomnieuse contre M. Sarkozy.
Retransmis en direct et sans accès codé, le débat du 4 mai 2012 sur «Mediapart» innove et tranche agréablement dans le fond et la forme avec ce qui nous est donné à voir et entendre sur les grandes chaînes de télévision. Des propos entrecoupés de publicité où des invités s’interrompent en permanence dans un brouhaha destiné à noyer le poisson. Une mise en scène dont la liberté de l’information ne ressort pas gagnante, incontestablement.
Légitime, la question que tout le monde attendait a été posée sur le « plateau » du site: l’intervention française en Libye était-elle destinée à clouer le bec définitivement à un «ami» devenu gênant? Pourquoi la résidence d’un ministre de Khadafi, potentiel témoin à charge, a-t-elle figuré parmi les premières cibles des bombardements? En ce 4 mai 2012, il n’y a pas eu d’autre réponse que celle d’un ange passant inopinément par là.
L’enquête des journalistes permettra peut-être un jour d’apporter la clé. En attendant, l’expérience de «Mediapart» mérite d’être saluée comme une contribution bienvenue à la formation de l’opinion citoyenne. Un moment fort que le directeur et fondateur de «Mediapart», Edwy Plenel, ne s’est pas gêné d’exploiter en cours d’ «émission», évoquant, en substance, l’avènement d’un nouveau journalisme, libre et décomplexé.
Nul doute que la victoire attendue de François Hollande, en faveur duquel se positionne le site – Plenel est un ancien pilier du «Monde», quotidien de centre-gauche – , contribue à encourager cette attitude. Si les sondages se voient confirmés, le 6 mai, on peut prévoir une nouvelle dynamique pour «Mediapart», déjà sorti des chiffres rouges grâce à un modèle économique basé exclusivement sur les abonnements. Reste à espérer que la pertinence de l’analyse et le courage des opinions au sein de la rédaction ne s’en trouveront pas émoussés, paradoxalement. Par définition, se trouver du côté du pouvoir n’est pas le meilleur gage de l’indépendance, donc de la qualité de l’offre médiatique.