Dans le livre « Climat, comment éviter un désastre », Bill Gates fait la leçon à la planète. Investissez comme moi! Contre la maladie, la pauvreté. Pour la pureté de l’air. Et pour cela construisez des centrales nucléaires! Vaccinez à tour de bras! La presse applaudit.
Précautionneux, Bill Gates a pris soin d’anticiper la critique. Complotistes, les vilains canards qui osent mettre en doute sa bonne foi! Déférents, les médias en rajoutent. Avec Gates, le sujet n’est plus Microsoft, le groupe d’informatique grâce auquel sa fortune surpasse l’indicateur de richesse d’une quantité de pays. Non, caquettent les exégètes de l’information, Gates est un philanthrope! Cela signifie qu’il reverse une partie de ses revenus à des oeuvres d’utilité publique. Un tour de passe-passe qui lui permet, comme à d’autres entrepreneurs et financiers milliardaires, des Bezos, Musk et autres Soros, de diminuer la charge fiscale pesant sur ses avoirs, tout en se parant de l’auréole du saint. C’est beau. Mais magnifiquement abusif.
Bill Gates, c’est « l’art de la fausse générosité », titre le journaliste français Lionel Astruc au terme d’une vaste enquête publiée en 2019. Tartuffe ou Amphitryon? Nul doute que s’il avait connu un tel personnage, Molière aurait encore accentué la charge d’ironie contenue dans ses pièces phares.
Le grand homme que voilà! Comment des ignares peuvent-ils se permettre de naviguer contre le courant du bonheur mondial? Les journaux l’affirment de manière d’autant plus désinhibée que nombre d’entre eux sont détenus totalement ou partiellement par Bill Gates en personne. Une chance que n’avaient pas les penseurs authentiques de l’écologie politique. La possession et le pouvoir intéressant ces derniers moins que les idées, les médias ne leur ont pas donné l’espace qu’ils méritaient. Ivan Illich, par exemple. Prophète magistral, le philosophe et critique de la société industrielle décédé en 2002 mettait en garde en 1970 dans ses livres contre les dangers de la religion du consumérisme, source de cataclysme mondial. Nous y sommes!
La statue que Gates se construit sans pudeur révèle une inversion éthique. Modèles des guides de la littérature classique, de grands auteurs du 19e et du 20e, tels Hugo, Zola ou Dickens, prenaient la défense des faibles et des déshérités. Aujourd’hui ce sont les puissants qui font la nique aux gueux au vu et au su d’un public bien mouton. Une posture sans doute logique si l’on considère l’évolution terrifiante des moyens de communication mais qui n’en reste pas moins parfaitement problématique dans une optique citoyenne. En plus d’ignorer les dessous du miracle commercial – tout succès phénoménal comporte sa part d’ombre – non contents de minimiser l’appétit libertophage de l’hydre, les faiseurs d’opinion cautionnent un système qui fonctionne hors de tout contrôle institutionnel.