Le monde politique commence à s’émouvoir de la situation. Mais sa réaction reste timide. Elle est surtout bien tardive. Longtemps, il n’a pas voulu aller au-delà d’un coup de pouce postal à l’acheminement des journaux. De la droite à la gauche, un consensus pétri de bonne conscience existait, qui reposait sur cet alibi. Les réductions de voilure, ici ou là, ne suffisaient pas à tirer les élus de leur torpeur.
En juin 2012, le député vert vaudois Luc Recordon brisait l’omertà. Il déposait un postulat aux Chambres fédérales, demandant le soutien étatique des journaux en ligne. En septembre, le Conseil des Etats transmettait la requête au gouvernement, déjà mis sous pression par le parlement depuis que ce dernier lui a donné mandat, en 2011, de présenter un concept pour la politique des médias.
Dans le dernier numéro du magazine «Edito +Klartext», le conseiller national socialiste Hans-Jürg Fehr révèle de son côté quelques pans du programme stratégique que son parti compte adopter prochainement. Il imagine notamment une redevance sur le trafic Web.
Ces initiatives font que le dossier de l’aide à la presse, d’abord repoussé aux calendes grecques, pourrait être traité à Berne dès les premiers mois de l’année 2013. La course contre la montre a donc débuté pour sauver ce qui peut l’être dans un contexte idéologique encore flottant. Car face à la gauche qui lève le tabou, la droite ne veut pas entendre parler d’une intervention étatique. Elle pense sans doute que les titres suisses n’ont qu’à suivre l’exemple des journaux américains.
Mardi 27 novembre 2012 au Club suisse de la presse à Genève, l’éditeur du quotidien américain « Herald Tribune », Stephen Dunbar Johnson, a expliqué pourquoi, à ses yeux, le salut de son journal passait par une augmentation du nombre de ses correspondants à l’étranger. Le maintien de la qualité est à ce prix. A ses côtés, Eric Hoesli, directeur éditorial de Tamedia, acquiesçait du pompon tout en raillant le système français fondé sur l’aide étatique à la presse.
Mais les situations des deux groupes ne sont pas comparables. Aux Etats-Unis, on investit dans le personnel. En Suisse, on désinvestit. Dans la gamme des journaux helvétiques, les postes de correspondants sont en chute libre. Dans ces conditions, parler de modèle économique sauvegardant la qualité devient donc illusoire.
Tamedia ne revendique pas d’aide étatique à la presse, on est heureux de l’entendre dire. Donner l’argent du contribuable à un groupe qui affiche une rentabilité à deux chiffres serait un comble et parfaitement inique. En revanche l’aide directe étatique à la presse n’est pas une incongruité et la comparaison avec la France nullement futile. Seulement, il faut s’entendre sur les catégories de médias susceptibles de mériter la manne. Là est la difficulté.
La guerre ne fait donc que commencer entre la presse traditionnelle et les « pure players », les journaux numériques qui pourraient bien délaisser rapidement leur statut d’outsider et passer sur le devant de la scène. S’ils se révèlent de qualité, l’information n’en sera que gagnante. D’où l’importance et la pertinence d’un soutien politique permettant à la presse suisse de ne pas vivre un grounding à la Swissair.