Le 15 avril 2012, Cristina Kirchner créait la sensation en annonçant l’étatisation de Repsol-YPF, au prétexte que ce groupe pétrolier espagnol n’investit pas assez en Argentine. Quelques jours plus tard, c’était au tour du Bolivien Morales d’exproprier le producteur d’électricité TDE, ibérique lui aussi.
La présidente sait ce qu’elle fait. Productrice de pétrole, l’Argentine voit ses réserves d’or noir s’amenuiser d’année en année. Or, au large des Malouines, un gisement d’hydrocarbures attend son heure. Le problème est qu’il est aux mains du Royaume-Uni.
En souffletant Repsol-YPF, cette diablesse de Kirchner fait d’une pierre trois coups. Elle flatte d’abord la fierté des Argentins qui reviennent de l’enfer après une décennie passée à panser les plaies des excès de l’ère Menem. La politique de privatisations à outrance conduite par ce président entre 1989 et 1997 s’apparentait à un pillage en règle des ressources du pays. Elle avait conduit l’Argentine tout droit à la banqueroute.
Deuxièmement, la nationalisation de Repsol-YPF relance la recherche d’hydrocarbures un secteur clé de l’économie du géant latino-américain. Et troisièmement, elle est surtout un pied de nez adressé à la Grande-Bretagne qui ne cesse de répéter qu’elle n’abandonnera jamais ses «Falklands». Il est révélateur de constater que le Royaume-Uni a été le premier à réagir à l’annonce de la mainmise argentine sur Repsol-YPF. L’expropriation, argue Londres, va à l’encontre des engagements commerciaux pris par l’Argentine dans le cadre du G20.
Mais la position britannique est loin d’être innocente. Vouées jusqu’ici à l’élevage du mouton et à l’octroi de permis de pêche, les Malouines présentent un intérêt économique majeur depuis que des gisements de pétrole ont été découverts au large de cet archipel conquis par la Grande-Bretagne en 1833. Les Malouines permettront-t-elles au Royaume-Uni de figurer parmi les principaux pays producteurs d’or noir? Certains experts l’envisagent. Une couleuvre difficile à avaler pour l’Argentine qui voit aussi dans cette zone de passage menant aux mers australes un enjeu énergétique et alimentaire de demain.
Jouant la guêpe, Buenos Aires est allé s’allier au géant brésilien Petrobras, sitôt l’expropriation de Repsol-YPF prononcée. De quoi mieux chatouiller la susceptibilité de Londres qui pourrait ressentir ce rapprochement comme une tentative d’encerclement de ses intérêts pétroliers aux portes de l’Antarctique.
En expropriant Repsol-YPF, Buenos Aires s’expose à des représailles. Bruxelles a promis de ne pas rester les bras croisés. Mais il en faudra plus pour effaroucher celle que les médias argentins ont baptisée la Mascotte ou la Reine Cristina. Face aux attaques de Madrid, la présidente ne s’est pas gênée de rétorquer en rappelant aux Ibériques que la dette morale n’est pas forcément à sens unique: son pays avait aidé l’Espagne au lendemain de la guerre, quand la disette était aux portes.
Bruxelles, Washington, le FMI et l’Organisation mondiale du commerce, cette grande malade, ont des raisons de s’inquiéter. Les nationalisations en Amérique latine pourraient donner de mauvaises idées aux pays les plus endettés d’Europe. L’avènement des socialistes en France, la victoire des extrêmes en Grèce et la montée des nationalismes dans plusieurs pays traduisent un mouvement d’opinion rétif au patriarcat des gendarmes de la finance et créent un terreau favorable aux réactions épidermiques. Pour l’heure personne n’ose prononcer son nom mais c’est bien un nouveau protectionnisme qui est aux portes. Comme quoi, tout excès amène son contraire.