Bouleversé par la déchéance physique, le Genevois d’adoption a restitué sans artifices par le crayon et le pinceau les derniers moments de sa maîtresse rongée par la maladie. Le Musée d’art de Pully, qui lui consacre une remarquable exposition jusqu’au 3 juin 2018, n’a pas pu résister à la tentation d’accrocher aux cimaises quelques tableaux à la vocation morbide.
Pourtant l’intérêt de l’événement pulliéran se situe plutôt dans la fabuleuse fresque lacustre qui se dégage des huiles et aquarelles peintes aux quatre coins du Léman. Eblouissants, ces couchers et levers de soleil sur l’eau d’huile, ces arbres tantôt gorgés de sève, tantôt nus, aux bras chétifs tendus vers le ciel. Emouvants, ces cygnes se séchant sur les galets de la baie genevoise sur fond de Salève rose.
Pour revenir à la presse romande, s’il est un point d’accroche avec Hodler, c’est bien Christoph Blocher. Près de la moitié des oeuvres exposées à Pully proviennent de la collection privée de l’homme d’affaires zurichois reconverti dans les médias à force de reprendre des journaux gratuits à tour de bras. Un placement à coup sûr moins rentable que l’art, à l’heure où les tableaux de peintres adoubés par les faiseurs de cote atteignent des prix records, mais un investissement quand même. Dont le retour se mesurera au nombre de voix que son parti politique glânera lors des élections cantonales.
Les acquisitions de M. Blocher, en se concentrant sur les oeuvres d’artistes du terroir, relèvent de l’ethnologie. Peintes par Anker, les scènes de la vie rupestre helvétique tapissent son bureau à Zurich. Avec Hodler au bras noueux, Blocher montre que sa connaissance de la Suisse ne se limite pas à l’Albisgüetli, le stand de tir de l’UDC. Tous les jours que Dieu fait, il se balade dans sa propriété sous tel ou tel paysage lémanique peint par Hodler. La Suisse romande fait déjà partie de son environnement visuel.
Bientôt elle lui sera acquise en partie médiatiquement parlant, si tant est que Blocher parvienne à finaliser son raid sur GHI et Lausanne Cités, deux tout-ménage lémaniques, les plus forts tirages de la région, dont il a racheté 50% du capital au groupe Tamedia. Propriétaire de l’autre moitié, Jean-Marie Fleury invoque un droit de préemption. Il déclare que les jeux ne sont pas faits mais n’exclut pas pour autant la vente à M. Blocher…