Au siège du consortium européen Nabucco à Vienne, le porte-parole Christian Dolezal tente de garder son flegme. Bruxelles et Washington placent beaucoup d’espoir dans ce projet de gazoduc devant relier la mer Caspienne à l’Europe afin de réduire la dépendance face au gaz russe. Or le mardi ces capitales ont fait contre mauvaise fortune bon cœur, alors qu’avaient lieu en Allemagne les cérémonies pour l’inauguration de Nord Stream, le gazoduc maritime russe qui traverse la Baltique en évitant soigneusement la Pologne.
Optimisme à Vienne
Les communicateurs de Moscou ont bien fait les choses en présentant le projet comme une alternative fiable aux pipelines qui transitent par les anciens satellites de l’URSS, des territoires devenus plus capricieux en termes d’hospitalité depuis la chute du mur de Berlin.
Les agences de presse ont été jusqu’à relayer les doutes d’experts en questions énergétiques qui jugent mort-né le projet concurrent Nabucco qui contourne l’imprévisible Ukraine. Des prévisions infondées pour Christian Dolezal: «Le creusement de Nabucco est sur le point de débuter. Nous n’attendons que le feu vert du consortium Shah Deniz, le gisement de gaz offshore en Azerbaïdjan».
Obstacles politiques
Le scepticisme de ces experts n’est pourtant pas sans fondement. Lancé en 2004 avec le soutien de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque européenne d’investissement (BEI) et l’IFC, une entité de la Banque mondiale, le projet Nabucco s’étendra sur 4000 kilomètres. Mais il a longtemps souffert d’un manque de dynamisme dû aux obstacles politiques dressés sur sa route.
Parrainé notamment par une poignée de nations d’Europe centrale et orientale qui ne gardent pas le meilleur souvenir des hivers crus passés à grelotter lors de la guerre du gaz entre la Russie et l’Ukraine, Nabucco a pâti des susceptibilités de partenaires incontournables comme la Turquie. Le vote français sur le génocide arménien avait notablement refroidi les ardeurs d’Ankara.
Mais surtout Nabucco n’a pas manqué de glisser sur les peaux de banane habilement lancées par Moscou. Le gaz est pour la Russie la source première de ses devises. Traditionnellement elle livre depuis des décennies à l’Europe la matière première, à la satisfaction de sa clientèle, notamment la Suisse qui reçoit 20% de son gaz et abrite la société qui gère North Stream, à Zoug.
Pas question de perdre ce monopole. Afin de contrer Nabucco à l’est, Gazprom, le conglomérat gazier russe, s’est allié à la régie italienne ENI pour lancer un autre projet, baptisé South Stream. Contournant lui aussi l’Ukraine, il part des bords de la mer Noire pour aboutir en Serbie avant de remonter vers la Hongrie. Mais le projet est encore dans les limbes.
Guerre de propagande
Difficile, face à la guerre de propagande que se livrent les promoteurs gaziers, d’entrevoir qui sortira finalement gagnant du bras de fer entre Nabucco et South Steam. Une chose est sûre: la confiance semble de retour chez les Européens après la signature, en juin dernier, d’un contrat bilatéral impliquant cinq pays de transit, la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l’Autriche («La Liberté» du 15 octobre 2011).
Désormais la voie est libre pour la mise en place des infrastructures. Après avoir hésité longtemps entre les gaz kurde irakien et turkmène, les responsables de Nabucco semblent avoir fait leur choix. Avec l’aide de trois «majors» du pétrole, BP, Total et le Norvégien Statoil c’est dans les eaux de la Caspienne, à 70 kilomètres de la capitale de l’Azerbaïdjan, Bakou, que commenceront les pompages. Pour autant que la Socar, la compagnie des hydrocarbures d’Azerbaïdjan, accepte d’être de la partie, ce qui n’est pas gagné d’avance compte tenu des pressions du voisin russe.
Si tout va bien, la construction de Nabucco devrait démarrer en 2013 et s’achever en 2017. L’espoir à Bruxelles est d’autant plus de mise que la donne énergétique a subi un chamboulement depuis l’accident de Fukushima. Pour remplacer le nucléaire, le gaz est une alternative qui connaît un regain de faveur.
Dès lors les partisans de Nabucco ne voient pas pourquoi l’équation devrait se limiter au choix entre deux projets. Alors que la consommation est appelée encore à augmenter, Bruxelles soutient qu’il y aurait de la place pour trois voire quatre gazoducs de plus en Europe.