Très longtemps, l’actualité économique a été la mal-aimée dans les journaux, lesquels la réduisaient à la publication du cours du blé et de la betterave. On lui préférait l’inauguration des chrysanthèmes, quand la rédaction en chef ne se fendait pas de pompeux éditoriaux politiques. Songez que le krach de 1929, événement financier du siècle s’il en fut, ne fit l’objet d’aucune analyse digne de ce nom. Pas un commentaire non plus. De toute évidence, le flegme britannique n’avait pas encore dit son dernier mot.
Il fallut attendre les années septante pour que s’étoffent progressivement les pages économiques au gré d’un modèle toujours plus dépendant d’une discipline appelée au plus ambigu des rôles, la communication. La propagande, si vous préférez. Tout l’art du journalisme économique consistait alors à faire la part des choses dans le respect bien compris d’une déontologie soucieuse de ménager la chèvre et le chou, la publicité et le rédactionnel. Tout ce petit monde se côtoyait allègrement, qui aux conférences de presse, qui pendant des voyages aux quatre coins de la planète, organisés aux frais de la princesse. Les briscards du journalisme économique ont en mémoire les événements organisés par les ténors de la bourse et la BNS, au cours desquels l’enjeu majeur résidait dans l’obtention d’une place à la table de Sa Majesté. Etre assis à côté du PDG équivalait à la quasi-certitude d’arracher une confidence synonyme de scoop à la fin d’un repas bien arrosé.
Encouragée par la montée en force des « dircoms », la pipolisation n’a pas empêché l’investigation de connaître un brillant et heureux essor en parallèle. Au point qu’à compter des années huitante, la rubrique économique acquiert la dimension d’un véritable Etat dans l’Etat, choyé par les annonceurs. Mieux payés que la moyenne de leurs collègues, les journalistes économiques sont des personnalités écoutées, inspirant probablement davantage la crainte que le respect. Ils jouissent d’une grande latitude d’action au sein de leurs titres, favorisés par la confiance dont ils bénéficient de la part de rédacteurs en chef souvent incompétents en matière économique.
Le déclin s’amorce dès le début de la décennie 2000. Il coïncide avec l’agonie du modèle de financement fondé sur la publicité, qui aboutit à une réduction de la pagination, mais pas seulement. Si la rubrique économique est parmi les premières sacrifiées, c’est qu’au fond, elle embarrasse les éditeurs liés aux grands groupes industriels. Un seul exemple actuel: il est évidemment beaucoup plus commode de tartiner jusqu’à l’écœurement sur le coronavirus que sur l’affaire de blanchiment mettant en cause aux Pays-Bas le nouveau PDG d’UBS.
Aujourd’hui, la page économique n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les commentaires y sont rares, pour ne pas dire exceptionnels. C’est pourquoi il faut saluer des éditoriaux comme celui d’Yves Genier dans « La Liberté » du samedi 12 décembre 2020. En temporisant dans l’aide aux professions touchées par les restrictions sanitaires, les responsables des finances cantonaux et de la Confédération jouent « un jeu cynique et extrêmement dangereux, qui pousse nombre de citoyens au désespoir et au vote protestataire. C’est une honte pour un pays qui croule sous l’argent », ose le commentateur. Ah, que de tels propos, écrits enfin dans un journal de Suisse romande, font du bien!
On en redemande. Comme on aimerait que les journaux renouent avec l’entretien de la mémoire des chers disparus. Mort il y a quelques jours, Etienne Oppliger a été pendant des décennies la signature phare de la page économique de « 24 Heures » où l’on attend toujours quelques lignes lui rendant hommage.