Il y a quand même d’heureuses leçons à retenir de 2020. L’une d’elles est le rappel d’une évidence mystique: face à leur destin de mortels, tous les humains sont égaux. La nouveauté, c’est qu’ils le sont devenus dans la célébration du repos éternel. Riches ou pauvres, les disparus d’aujourd’hui n’ont droit qu’à une cérémonie intime, mesures sanitaires obligent. Partis nonagénaires, un ancien président français et deux conseillers fédéraux ont attendu trop longtemps. Quelques mois plus tôt, ils auraient eu droit à des obsèques nationales: haie populaire, tapis rouge et Panthéon… enfin, manière de dire. Ils en auraient probablement rêvé. A part René Felber qui mena sa carrière de ministre à l’abri des flonflons et des flagorneries.
Edité l’an dernier aux Editions de L’Aire, peu de temps avant la mort de l’homme politique neuchâtelois, un livre relate son parcours de quatre ans, mené tambour battant à la tête des Affaires étrangères. Pas le temps de respirer, dans le récit de son secrétaire diplomatique, Pierre Combernous. « Un patron pour toutes les saisons » emporte le lecteur aux quatre coins de la planète, qu’il pleuve ou qu’il vente, avec ou sans rideau de fer. Entré en fonction en janvier 1988, Felber aura la chance immense de vivre la chute du Mur de Berlin et la gestion immédiate de l’ouverture politique à l’Est. Parallèlement, la Suisse se voit confrontée à l’un des plus grands défis de son histoire: définir son rôle institutionnel au coeur de l’Europe.
Espace économique, adhésion, maintien au sein de la petite AELE? René Felber est un homme entier, avec Delamuraz, il choisit l’option radicale. La Suisse rejoindra le drapeau bleu étoilé ou ne sera pas. Dans son ouvrage, Combernous, fidèle à son statut d’ex-diplomate, avance comme chat sur braise sur ce terrain miné. Difficile de déceler un véritable fil rouge européen dans le mandat de Felber qui s’achèvera en 1991, avant la votation sur l’EEE. L’homme à la drue moustache laissera alors Delamuraz seul à la barre, déplorer, un certain soir de votation, le 6 décembre 1992, « un dimanche noir pour la Suisse ».
Le hasard veut que la vision de Felber soit confirmée ces jours-ci grâce à la déclassification des documents d’époque figurant dans les Archives fédérales. Par la plume de son correspondant à Berne, la version numérique du « Temps » en fait état le 3 janvier 2021: « Comme le révèle une note d’un groupe de réflexion du DFAE nommé Eurovision, le Neuchâtelois (ndlr: René Felber) est favorable à l’adhésion, mais Arnold Koller (ndlr: président en 1990) prévient: ce scénario n’a ‘aucune chance’. Le Conseil fédéral approfondit alors la question de l’EEE qui, pour le chef du DFAE, n’est qu’une ‘étape’ vers l’adhésion, révèle une note du département ».
L’attitude de René Felber fut celle d’un homme d’Etat. Le signe également que le « patron », pour reprendre l’humour décapant de son secrétaire diplomatique, n’avait rien de “Suisse-idaire”.