Aujourd’hui une partie de l’Europe est ruinée et tous les Etats tirent la couverture à eux dans une sombre cacophonie budgétaire où la seule constante est le triomphe de l’égoïsme. Dindon d’un système qui a aboli les garde-fous sociaux, la classe moyenne trinque.
Quand aux collectivités publiques, aveuglées par le souci de nouvelles recettes, elles abdiquent de leur mission redistributrice, qui inclut notamment une responsabilité environnementale. Qui, sinon elles, est à même de financer de manière indépendante des études prospectives susceptibles de parvenir à une indispensable collaboration transfrontalière?
L’Europe va à vau-l’eau. Ses grandes visions aussi. Pas celles qui consolident les trônes de ses monarques au sein d’une structure convenue, mais ses desseins régionaux, porteurs de réalisations concrètes au service de communautés réunies par la géographie et les échanges de marchandises et de personnes. Résultat: la réflexion sur les modèles de société s’enlise. Chacun, dans son coin, y va de sa petite stratégie, indifférent aux projets du voisin, insensible aux sirènes de la rationalisation des coûts.
Chaque partie ignore l’autre
L’auteur de ces lignes se remémore une escapade à Côme dans les années quatre-vingt. Alors journaliste correspondant à Lugano de l’Agence télégraphique suisse, il avait croisé un confrère italien qui se rendait à un débat télévisé consacré aux relations lombardo-tessinoises. «Viens avec moi, il manque quelqu’un de Suisse», m’avait-il dit. Je me suis rendu sur le plateau de la télévision locale et j’ai souligné que ma présence si fortuite symbolisait la nature de ces mêmes contacts transfrontaliers: chaque partie ignore l’autre au point que l’on oublie de s’inviter mutuellement, même pour débattre d’objets éminemment communs.
Depuis lors il y a eu les accords de Schengen, mais la situation a-t-elle tellement évolué? Le frontalier, qu’il soit français, allemand ou italien, reste un alien en Suisse et vice-versa. Le différend fiscal entre la Suisse et l’Union européenne n’a pas arrangé les choses. Les esprits feraient mieux de s’éveiller, pourtant, car le capital, lui, est nettement plus désinhibé. Lancée comme un ballon d’essai par un journal dominical, l’éventualité d’un changement de propriété touchant les barrages suisses fait froid dans le dos. Lourdement endetté, le groupe Alpiq serait-il tenté de vendre au groupe français EDF sa participation majoritaire dans la Grande Dixence? Si ce scénario devait voir le jour, les conséquences ne seraient pas moins importantes que la «capitulation» de la Suisse face au diktat fiscal américain.
Tout le monde se lance la patate chaude
L’impression de confusion s’accroît par le fait que des structures très valables de réflexion et d’action existent à l’échelle européenne, à l’instar du programme COST dont celui dédié aux énergies renouvelables, détail non négligeable, est présidé par un Fribourgeois (la Méduse du 21 janvier 2012). Néanmoins les gouvernements semblent faire la sourde oreille. Tout le monde se lance la patate chaude, un scénario devenu un classique dès que l’on parle de gestion énergétique, comme le montre l’insoluble théorème des sites de stockage de déchets radioactifs.
L’amateurisme continental se traduit par un vide prospectif et une absence de concertation dans la mise en place d’options telles que le solaire, l’éolien ou le nucléaire. Tout s’exécute au petit bonheur la chance. Prenons le deuxième dispositif. Le canton de Vaud, par exemple, souhaiterait qu’à terme son parc d’éoliennes couvre 20% de ses besoins en énergie. C’est très bien mais avant de les faire voter, il serait très utile que les citoyens disposent d’un maximum de données, à commencer par une carte du réseau européen, une véritable planification de la consommation d’électricité mais aussi des potentialités d’économies. Faute de quoi, il sera toujours plus difficile de convaincre les populations, les nouveaux projets seront voués à l’échec. En témoignent le refus massif d’un parc d’éoliennes par les habitants Daillens et Oulens, deux localités du Gros-de-Vaud, le 9 juin 2013, ainsi que les réactions carrées qui ont suivi ce vote dans le courrier des lecteurs des journaux locaux.