Après Joe Biden aux Etats-Unis, Mario Draghi en Italie. L’ancien président de la Banque centrale européenne est le deuxième dirigeant occidental à connaître les honneurs d’une intronisation à un moment – une nouvelle ère? – qui pourrait déjà s’apparenter à l’après-covid.
Bien sûr la pandémie n’est pas terminée, le Conseil fédéral, pour ne parler que de la Suisse, ne desserre pas l’étreinte. Mais les populations se lassent des confinements à répétition et s’interrogent sur la légitimité démocratique des contraintes qui leur sont imposées. Pâtissant d’erreurs de diagnostics et de stratégies incohérentes, les docteurs Mabuse de l’ordre sanitaire perdent de leur prestige, laissant le chaos s’installer dans les ukases officiels, désormais entièrement focalisés sur le vaccin miracle.
L’ouverture des terrasses des bistrots en Serbie et en Italie est révélatrice de ce flottement. Dans la péninsule, le déconfinement partiel est loin de relever du hasard, dans la mesure où il coïncide avec le passage de témoin gouvernemental. Très longtemps obnubilés par la pandémie, les médias italiens ne parlent plus que de politique.
Ces événements présageraient-ils un changement d’orientation au sein de la gouvernance mondiale avec un champion du libéralisme financier aux commandes? Une chose est sûre, M. Draghi ne s’affirme guère comme un aimable idéaliste débarqué de la planète Utopia. Son bagage correspond bien au contraire aux canons de la mondialisation, au point que l’an dernier déjà, certains le voyaient tirer l’Europe de l’ornière. De 2001 à 2006, n’a-t-il pas été le numéro deux de l’antenne européenne du groupe américain Goldman Sachs? Un empire sur lequel, dit la légende, le soleil ne se couche jamais. « Un vrai pouvoir dans le monde entier, dont la force est un goût obsessionnel du secret », insiste le journaliste français Marc Roche, auteur de « La Banque », livre publié en 2010.
Est-ce en raison de sa discrétion naturelle ou plutôt parce qu’il avait la charge d’un tonneau des Danaïdes, la dette grecque? Toujours est-il que Draghi ne tire aucune gloire de son passage à La Banque. Ses titres de noblesse, il préfère les afficher collés à ses expériences postérieures. En tant que gouverneur du Trésor italien, d’abord, où il fut l’artisan de la privatisation au galop de plusieurs régies, au grand dam du monde syndical. A la présidence de la Banque centrale européenne, ensuite, où il s’est construit une statue, celle de sauveur, en tout cas provisoire, de l’euro.
Draghi, éminence grise, habile jongleur, tireur de ficelles et grand ordonnateur du prompt redressement économique et financier de la planète aux dépens d’un développement plus lent mais solidaire et durable? Le pari semble ubuesque si l’on considère que le Premier ministre italien est ressortissant d’un pays considéré comme le maillon faible de l’Europe. Mais il n’est pas si improbable, compte tenu de la montagne d’argent débloquée par les Etats pour relancer la machine. Il pourrait surtout s’avérer un symbole.