A la Conférence de Munich pour la sécurité qui s’est tenue le week-end dernier sous l’égide d’un think tank social-démocrate, Angela Merkel a laissé tomber le langage diplomatique pour s’en prendre assez directement à la politique menée par Washington.
Cette posture suffit-elle à faire de la chancelière sur le départ le «leader » européen que des médias appellent de leurs voeux? Dans une construction qui ne saurait envisager une autre finalité politique que le fédéralisme, ce roulement de tambours a des consonances hégémoniques. Que diraient les Genevois si des commentateurs allemands promouvaient au rang de « leader » suisse le président du gouvernement zurichois?
Angela Merkel roule d’abord pour l’Allemagne. Ce pays a tout à perdre d’une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie. Non seulement parce qu’il est aux premières loges face aux missiles pointés vers l’Occident mais surtout parce que les ménages allemands consomment du gaz russe. Une dépendance appelée à s’accroître un fois que le deuxième gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne sera construit. Si la chancelière rue dans les brancards, c’est avant tout au nom du très puissant lobby gazier qu’elle le fait.
Le deuxième aspect qui amène à douter profondément de l’efficacité du message de Berlin relève de l’équilibre des forces dans le monde. Depuis la fin de la guerre, l’Allemagne est un pays occupé. Plus de 50.000 GI’s sur son territoire! Mme Merkel serait d’abord légitimée à réclamer leur départ plutôt que de brader son chant du cygne à tout vent. Cette impuissance politique de la locomotive économique est la première chose que les observateurs de la réalité européenne devraient constater, au lieu de se lamenter sur la perte d’influence du Vieux Continent. Les analystes écrivent que Donald Trump attise les divisions de l’Europe. C’est faux. En demandant aux 28 d’augmenter leurs budgets militaires, en les poussant à le soutenir dans sa croisade contre la Russie, le Venezuela, l’Iran ou la Chine, le président américain ne déclenche certes pas l’enthousiasme. Mais ce faisant, il ne fait qu’exiger les dividendes du Plan Marshall. Rempart contre feu l’URSS, l’Union européenne ne s’est construite que parce que les Etats-Unis le voulaient bien.
Autre malentendu à dissiper, la coupure de l’Europe en deux. Quand Mike Pompeo se rend à Budapest, ce n’est pas pour féliciter M. Orban de soutenir la Pologne dans son bras de fer contre la Russie. Sur ce dossier, Budapest et Varsovie, deux capitales entretenant une longue tradition de respect et d’amitié, ne suivent pas la même ligne. Le chef de la politique étrangère américaine tente de convaincre son interlocuteur hongrois de cesser ses mamours avec le président russe Poutine. Là encore, la division de l’Europe ne s’entend pas d’une manière aussi manichéenne que le laisse entendre la voix dominante dans les médias.