Le bon vieux temps des militaires est-il de retour?
Là, je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans… Avec cette anecdote: en 1974, l’auteur de ces lignes s’embarque en voyage de noces (!) à Ancona. Destination la Grèce. Quelques jours plus tard, le jeune couple rentre en bateau. In extremis. La nuit même du départ, les colonels prennent le pouvoir à Athènes. Toutes les communications maritimes sont brutalement interrompues…
Pour les personnes de ma génération, les régimes militaires faisaient hélas partie du quotidien. A des degrés divers, selon que l’on vivait en Europe occidentale, en Amérique du nord ou ailleurs, là où le climat était beaucoup moins clément. Au Brésil, au Chili en Uruguay ou en Argentine, les résistants risquaient l’arrestation et la mort. La situation n’était pas plus enviable en Europe orientale: Pologne – état de siège décrété par le général Jaruzelski en 1981 -, Tchécoslovaquie – invasion par les troupes du Pacte de Varsovie en 1968 -, Hongrie – révolution mâtée par les Soviétiques en 1956…
Baignant dans l’opulence des Trente Glorieuses, l’Occident épargné par la guerre civile se donnait bonne conscience en manifestant son indignation par des gestes mesurés, peu susceptibles de remettre en question sa stabilité. Molles désapprobations officielles, accueil de réfugiés ou comptines plus ou moins engagées ânonnées par des chanteurs plus ou moins sincères dans les meetings populaires témoignaient d’une dérisoire solidarité mâtinée d’ambiguïté. Politiquement le monde était divisé en deux, une bipolarité malsaine conditionnée par l’idéologie. Communisme et capitalisme, pendants d’un même vice, le matérialisme aux ordres de la science des Lumières.
En s’effondrant en 1989, le mur n’a pas seulement brisé les glaces de la guerre froide. Il a rendu obsolètes la plupart des régimes autoritaires, vite remplacés par des démocraties de façade. Le consumérisme insufflé à la hâte à grands coups d’injections intra-veineuses dans des corps éprouvés par des décennies de privations entretenait l’illusion de la paix universelle. Francis Fukuyama touillait sa salade, la fin de l’histoire.
Du coup, les galons disparaissaient du quotidien vestimentaire, remplacés sur les écrans par des dircoms en jeans au sourire amène, propagandistes d’un pouvoir militaro-industriel néo-libéral sous couvert d’échanges tous azimuts. La même philosophie incitait les adeptes de la mondialisation à intégrer la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce dans l’espoir très peu secret que Pékin largue son communisme, voeu parfaitement pieux jamais exaucé. Et que je te visionne un Star Wars par ci et que je t’installe une applique Pokémon par là, tout le monde il est tellement beau, tout le monde il est tellement gentil.
A l’ère des réseaux sociaux où il convient de soigner son image, étaler le côté sale de la guerre, cela ne se fait pas. Des soldats au combat, cela ne se montre pas. D’ailleurs les drones ne tuent-ils pas proprement? A ce jeu de cache-cache et de fausse pruderie, un seul pays fait encore tache, la Corée du Nord. Elle doit bien être l’unique endroit où les képis ont encore les honneurs du zoom dans les prises de vue des caméras de la télévision.
Ailleurs les généraux restent dans l’ombre au point que l’on ignore jusqu’à leurs noms! Un phénomène qui vaut tant pour les démocraties occidentales que pour la Russie, le Venezuela, la Turquie, voire l’Egypte où le général Sissi, seul chef d’Etat à oser s’afficher avec ses épaulettes, porte cravate et veste en popeline quand il rend visite à François Hollande. Et je ne parle pas de la Suisse qui n’a plus eu de général depuis Henri Guisan. Qui saurait me dire comment s’appellent les commandants de corps helvétiques – en période de conflit, le gouvernement choisit le général au sein de ce quarteron d’élite -, pour autant qu’il y en ait encore?
Pour autant la grande muette n’a pas disparu des écrans radar. La France envoie ses troupes en Afrique pour protéger ses mines d’uranium et introduit l’état d’urgence sur son territoire. Nul ne sait combien de temps seront maintenues ces mesures exceptionnelles de sécurité couplées à des pouvoirs non moins exceptionnels accordés à la police et à l’armée. Au vu des événements, elles ne semblent pas près d’être abolies. Comble de l’ironie, le président des Françaises et des Français avait annoncé sa levée le jour même de l’attentat de Nice. Etait-il optimiste à ce point? Ou plutôt avait-il été bien informé par ses services de renseignement? A moins que ce ne fût un coup cynique, ce que nous n’osons croire.