A tort ou à raison, Athènes s’est plaint des conseils prodigués par l’Allemagne qui rechigne à donner le biberon au plus fragile des pays du «Club med». Pour certains historiens, cette réaction est la réponse du berger à la bergère. Les Grecs ne gardent en effet pas le meilleur des souvenirs de l’occupation allemande entre 1941 et 1944. Mais cette fois leur opération de relations publiques a payé: Bruxelles va débourser 250 milliards d’euros dans le cadre d’un nouveau plan d’aide. Une somme considérable qui rassurera les exportateurs de Rafale et chars Leopard: la Grèce est l’un des principaux importateurs d’armements, elle pourra honorer ses contrats.
Mercredi 22 février 2012, c’est la Hongrie qui passait à son tour sous les fourches caudines des bons pasteurs, mais avec moins de succès que la Grèce. La Commission européenne (CE) propose au contraire de geler 495 millions d’euros de fonds de développement que doit recevoir Budapest en 2013. Cette décision sans précédent, précise la CE, fait suite à des avertissements répétés adressés à la Hongrie, afin qu’elle prenne des mesures de correction de son déficit public excessif. Ces coups de semonce n’ont pas été suivis d’effets, estime Bruxelles.
Plutôt que des Gripen suédois, la Hongrie aurait-elle dû acheter des avions français pour amadouer une voix qui compte au sein de l’UE? De toute évidence, Budapest paie son comportement rebelle au cours des derniers mois. Tout le monde a en tête les bravades du Premier ministre hongrois, ses réflexions sur la Constitution et l’indépendance de la Banque centrale, ses velléités de résistance face au FMI. La conduite témoigne probablement d’un souci de flatter l’électeur dans le sens du poil. Elle reflète aussi une maladresse en matière de communication, un domaine qui n’est pas le fort d’un peuple que l’originalité de la langue isole au cœur du continent. Mais fallait-il pour autant que Bruxelles enfonce le clou? S’il s’agit de changer de Premier ministre, les Hongrois préféreraient le faire de leur propre chef, sans recevoir de consignes des autres.
«Il est difficile de trouver judicieux le gel de versements de près d’un demi-milliard d’euros alors que Budapest est au bord de la récession», commente le quotidien conservateur polonais «Dziennik Gazeta Prawna», cité dans la revue de presse d’Eurotopics du jeudi 23 février 2012, où son pendant hongrois «Magyar Nemzet» lui fait écho le lendemain: «Si l’on veut s’attirer les faveurs de quelqu’un, il n’est pas particulièrement judicieux de le stigmatiser sans cesse. Si l’on veut en outre que celui-ci reconnaisse un certain sens de la justice, il n’est pas très opportun de le sanctionner continuellement (…) L’Union européenne n’échouera pas en raison de la monnaie unique ou de la crise économique mondiale. Elle échouera car ceux qui refusent de comprendre et de respecter l’essence d’une communauté composée d’Etats-nations millénaires auront pris le dessus en son sein».
La vexation est perceptible également de l’autre côté de l’échiquier politique. D’habitude peu complaisant vis-à-vis du gouvernement Orban, le quotidien de centre-gauche hongrois «Népszabadsàg» retient à son tour l’hypothèse d’une «punition» par Bruxelles. «Aucun autre pays membre n’a encore jamais été sanctionné de la sorte, même pas les Grecs, qui l’auraient pourtant mérité après avoir mené l’Union européenne par le bout du nez pendant des années».
C’est dire si l’attitude européenne crée un malaise car elle renforce le sentiment – très répandu en Hongrie – d’un parti pris induit par une méconnaissance profonde de ce pays écorché par des siècles d’occupation, d’abord turque, puis autrichienne, enfin russe. Ce qui ne l’empêche pas de revendiquer la plus forte densité de Prix Nobel par tête d’habitant. Révélateurs sont les commentaires sur Internet, où de plus en plus de réactions nationalistes alimentent le courant antieuropéen en Hongrie. Une tendance qu’exacerbent les comptes-rendus à l’emporte-pièce des médias grand public qui ont décidé une fois pour toutes que le diable se trouvait sur les bords du Danube. Chercheur au CNRS à Paris, Pierre Zirkuli ne stigmatise pas pour rien les erreurs et «fausses informations soutenues par un journalisme d’opinion, à la mode paraît-il, mais démodé, quand même». Et de viser en premier lieu la presse française, accusée de partialité et de superficialité.