Au cours de l’un de ses nombreux voyages en Thaïlande, le journaliste Olivier Grivat a eu le privilège de lui parler. Aujourd’hui, il publie un livre sur le monarque le plus helvétique de la planète.
PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE
Peut-on écrire impunément la biographie d’un dieu vivant?
Olivier Grivat: Le roi Bhumibol a dit en 2005 : « N’hésitez pas à me critiquer ». Mais il y a loin de la parole aux actes, manifestement. Le blocage vient-il moins du roi Bhumibol que de son entourage ? Toujours est-il qu’un écrivain américain d’origine thaï, Joe Gordon, l’a appris à ses dépens en voulant traduire un livre sur le roi. Il risque 20 ans de prison. Qu’est-ce qu’un crime de lèse-majesté? N’ayant pas la réponse, en l’état actuel, je préfère ne pas me rendre en Thaïlande.
Pourquoi les années lausannoises ont-elles autant compté pour le roi?
Il a vécu en famille dans une villa de Lausanne entre les âges de 5 et 23 ans, des années qui comptent double. Il a étudié sur les bancs de l’Ecole nouvelle de Chailly et n’a pas d’accent quand il parle. Par la suite sa première fille naîtra à la clinique de Montchoisi à Lausanne.
Le rôle de sa mère, la princesse Mahidol, ressort très fortement dans le livre. Jeune veuve, pendant la guerre, elle refusa de quitter la Suisse pour regagner la Thaïlande.
Oui, elle disait que si elle partait, elle donnait un mauvais signal aux Suisses. La princesse-mère Mahidol était une personne remarquable issue des quartiers les plus pauvres de Bangkok. Devenue infirmière, elle a épousé un prince de la dynastie régnante Chakri. Elle disait qu’un roi devait apprendre à obéir avant de commander. Elle appliquait des préceptes somme toute très helvétiques, aux antipodes de la culture royale prévalant jusque-là. C’était une passionnée de pétanque, sport qu’elle imposera plus tard à l’armée thaïlandaise. Elle introduira aussi dans les écoles de son pays le lancer de drapeau, discipline éminemment suisse.
Toute une époque… Deux enfants royaux allaient à l’école comme tout le monde, croisaient le facteur et faisaient du vélo. Le monde a bien changé.
La police avait quand même un œil sur la famille. L’anecdote la plus typique est l’accident de voiture dont a été victime le roi qui aimait la vitesse. Grièvement blessé – il a perdu l’usage de son œil droit – il a été transporté à l’infirmerie de Morges en taxi. La sœur aînée du roi Bhumibol, la princesse Galyani disait bien: «nous étions des petits Suisses comme les autres».
Ensuite, c’est le retour en Thaïlande, un pays menacé par la Chine communiste où l’on ne compte pas les coups d’Etat. Pourtant le roi Bhumipol reste en place. La baraka?
Son frère, le roi Ananda, a été assassiné d’une balle dans la tête, il n’avait que 21 ans. Le roi Bhumibol n’a jamais quitté son pays sauf à deux reprises, en 1961 pour une tournée européenne en passant par la Suisse et en 1964 à l’occasion de l’Expo nationale. Il avait tenu à revoir son camarade à l’Ecole nouvelle de Chailly, Jacques Piccard. Il n’a vraisemblablement jamais eu envie de connaître le sort du roi Idris de Libye, détrôné par Kadhafi alors qu’il se trouvait à l’étranger. Cette présence constante accentue son image de souverain honnête, aimé de ses sujets. Rendez-vous compte que la population actuelle en Thaïlande n’a jamais connu d’autre roi.
Le roi Bhumibol a 84 ans et n’est pas en bonne santé. L’avenir de la monarchie est-il assuré?
Dans ce pays du sud-est asiatique qui compte 65 millions d’habitants, le roi est un facteur de stabilité. Sa succession est un gros problème, en effet. Il y a plus d’un parallèle à établir avec la couronne d’Angleterre: les drames familiaux, le problème de la descendance. Constitutionnellement, le trône reviendrait au fils du roi, pilote d’avions de chasse, que protège sa mère, la reine Sirikit. Il est probable également que l’armée le soutiendrait. Mais c’est une femme, la princesse Sirindhorn, l’une des trois filles du roi Bhumibol, qui a les faveurs de la population. Une régence de la reine-mère n’est pas exclue non plus.
L’enjeu pour la Suisse?
On a frisé l’incident diplomatique quand le roi Bhumibol a offert un pavillon thaïlandais à la ville de Lausanne. Du fait de l’opposition d’une habitante des lieux, il a fallu trouver un autre emplacement dans le parc du Denantou. On ne refuse pas le cadeau d’un roi. Finalement tout s’est arrangé et la princesse Sirindhorn a inauguré le pavillon. On ne se rend pas compte à Lausanne de l’aura dont bénéficie la ville en Thaïlande. La métropole lémanique est beaucoup plus connue que Berne et Zurich. Elle est un lieu de pèlerinage pour les touristes thaïlandais.