Plus qu’une rétrospective, elle incite le spectateur d’aujourd’hui doté d’une sensibilité nouvelle, à se pencher avec un regard neuf sur celui qui a inspiré les démarches artistiques modernes, des fauves aux représentants de l’art abstrait.
Enfin, elle met en scène à travers près de 60 ans de peinture, l’acharnement de Monet à rendre visible toute la quête des artistes et écrivains de son siècle, romantiques et symbolistes animés par le sentiment de la Nature, celle des sensations et impressions qu’elle suscite, et à en fixer l’instantanéité, par son traitement de la lumière et les répétitions colorées évoquant l’Art Sériel du XXe siècle.
Le fil lumineux de l’impressionnisme: nature et lumière...
Chez Monet, les sujets d’inspiration sont peu nombreux, traditionnels ou répétitifs. A l’instar de Picasso qui, plus tard clamera qu’il n’a « aucune imagination », il ne sait pas inventer et peint « seulement ce qu’il voit »: la nature et ses transformations sous les variations de la lumière changeante du jour et au rythme des saisons quelque en soit le motif où l’endroit où il plante son chevalet.
C’est le chevalet pliable, portable qui fera son apparition en même temps que les peintures en tube, qui poussera vers la moitié du 19ème siècle les artistes hors des ateliers pour s’installer face à la nature « en plein air ». Le jeune Monet suivra Bourdin et Jongkind avec qui sillonnera la Normandie de sa jeunesse.
Il en gardera d’ailleurs le souvenir du spectacle des cieux tourmentés éclairant les branchages agités par le vent et la lutte assourdissante de la roche brute et claire des falaises et de l’océan écumant et déchaîné: cette « Grosse mer à Etretat » qui le fascinera tant, qu’il la reproduira en la dramatisant comme une tragédie qui se joue.
Est-ce cette série qui inspirera plus tard à Debussy, qualifié parfois d’impressionniste, La Mer, œuvre orchestrale bâtie en 3 esquisses intitulées: «de l’aube à midi sur la mer, jeu de vagues, dialogue du vent et de la mer»?
Ces impressions, ces sensations éprouvées face à la vie et la mort du jour, au renouvellement des saisons et de leurs effets sur les formes de plus en plus indéfinies jusqu’à se déliter dans la couleur, deviendra l’obsession de l’artiste et le fil conducteur des impressionnistes. Transformant la nature en autant de «paysages intérieurs» à l’unisson de Baudelaire, Verlaine ou Mallarmé ses contemporains, Monet décline comme dans une biographie picturale intime les impressions des méandres de sa vie, et de son parcours artistique.
…Rythme et répétition
Cette démarche le poussera, alors de retour à Paris, à suivre les courbes de la Seine pour aller peindre sur les rivages du fleuve et de ses affluents, parsemés d’îlots de verdure. En compagnie …
Celle de Renoir, qui fréquentait à l’Académie des Beaux–arts (où l’artiste s’inscrit finalement après un bref passage à l’Académie Suisse de Paris comme Cézanne …), en même temps que lui, l’atelier d’un des professeurs, le suisse C. Gleyre, réunissant après les cours ses étudiants au café Guerbois, dont Manet et Zola étaient aussi des habitués.
Ensemble ils partirent donc peindre sur le motif aux environs de Paris. L’ouverture de la ligne de chemin de fer répondant au besoin d’évasion des parisiens drainait vers les rivages colorés du fleuve, ses guinguettes et son petit vin blanc, des écrivains et musiciens, auxquels se joignaient les artistes de plein air, comme eux.
L’atmosphère animée et sonore de ces gares, la gare Saint-Lazare en particulier avec ses trains vers la Normandie, interpellera l’artiste qui traitera en série «ces symphonies de fumées mouvantes et colorées». La Grenouillère, célèbre établissement de loisirs et de bains sur l’ile de Croissy sur la Seine, a certes été immortalisée par Renoir. Mais on connait moins celle de Monet de 1869 (prêtée par Le Metropolitan de New York) pourtant peinte au même moment, qui montre le regard très personnel de l’artiste, moins captivé que son ami par les personnages et l’animation turbulente de ce restaurant flottant, que par les reflets multicolores de la scène dans les remous du fleuve dont il s’acharnera à rendre l’impression en « fragmentant » la touche, technique picturale reprise ensuite par les impressionnistes.
Et, des rivages de la Méditerranée qu’il parcourra par la suite, une expérience artistique qu’il résumera par « Mon affaire …c’est le soleil ! », il tentera là encore de faire sentir à travers une série de tableaux ce corps-à –corps pour en rendre ses variations fugaces sur la végétation luxuriante et chaude, armant pour l’occasion sa palette de couleurs éclatantes.
Figures et Art décoratif
Tous ces paysages au rythme de la lumière sont souvent singulièrement privés de présence humaine. Pourtant les figures et portraits (originaires d’Europe, des USA, du Canada , montrés en France pour la première fois) réunis en une salle , prouvent l’intérêt de l’artiste non pas pour les sujets mais pour la valeur décorative de la peinture en y expérimentant la multiplicité des formats et la répétition des compositions.
Les personnages, des silhouettes imprécises, en mouvement dans le paysage, sont plutôt des accessoires renvoyant la lumières et les couleurs, animant la scène et faisant vivre le tableau de sa vie propre; ou, à travers des scènes intimistes, familiales, ils sont prétexte, semble-t-il, comme la présence de ses enfants dans les déjeuners au jardin, surtout à exalter les coloris de la nature environnante.
Le déjeuner sur l’herbe, inspiré par Manet, dont Camille, modèle puis épouse du peintre est l’héroïne, livre enfin son histoire, grâce à la réunion inédite des 2 fragments vestiges de la vaste composition imaginée par Monet du Musée d’Orsay complétée par la toile du Musée Pouchkine de Moscou, exposés côte à côte.
Dans cet ensemble conçu comme un manifeste, l’artiste relève un double défi, celui de la figure et de la nature, en les fusionnant dans cette fresque, révélant en même temps son génie à concevoir d’étonnantes scénographies murales.
Musique sérielle
L’exposition se concentre sur les œuvres des années 90, un tournant dans la vie et l’œuvre de l’artiste quinquagénaire alors relégué comme l’impressionnisme qu’il incarnait, en arrière plan, par l’émergence d’artistes plus jeunes aux expérimentations audacieuses.
A un âge où l’inspiration créatrice d’un artiste décline, lui, relève un pari inattendu en entamant une deuxième vie artistique qui Influencera la postérité et l’art moderne. Dans sa propriété de Giverny, aux portes de sa chère Normandie, il crée un jardin extraordinaire, un univers végétal idéal dont il imaginera les parterres d’ensembles floraux au gré de sa palette, pour nourrir sa peinture … Il y bâtit un pont « japonais » enjambant un étang parsemé de nénuphars ,les nymphéas.
De ces eaux fleuries, il tirera, peut-être en raison de sa vue déclinante, des symphonies colorées, tâches de lumières rassemblées en une fresque décorative, renvoyant aux « japonaiseries » de la fin du siècle.
L’artiste s’enfermera alors dans son propre univers végétal si familier, dont il reprendra sans relâche jusqu’ à sa mort, les variations de couleur, dans des séries qui se feront systématiques. Des dizaines d’approches d’un même motif comme celui des Meules, répétant avec entêtement le jeu colorée de la lumière sur les formes jusqu’à la dissolution des lignes; ou encore des Cathédrale de Rouen ,de jour et de nuit, auxquelles est consacré un espace confrontant ses tableaux à ceux de Roy Lichtenstein, un des artistes de l’abstraction, qu’elles ont inspiré. Celui-ci les a réinterprétées, près d’un demi-siècle plus tard, en une série d’une quinzaine de toiles dont le triptyque présenté.
Développant son principe de décomposition de la lumière en autant de tableaux monochromes de la gamme chromatique et celui de systématisation des séries, cher au pop’art américain, les œuvres confrontées saluent en Monet un précurseur de l’art Moderne. Et l’on constate que, l’œuvre sous nos yeux reconstituée annonce déjà en filigrane les grandes lignes de la théorie minimaliste à venir: en montrer le moins pour en suggérer le plus...