Le traité que concoctent Berne et Bruxelles doit être combattu avec force, soutient le ténor nationaliste. Et d’anticiper un référendum le jour où ce qui est communément appelé l’ «accord-cadre institutionnel» passera la rampe des négociateurs et sera soumis au parlement.
Le bis repetita auquel Blocher soumet le citoyen est si classique qu’il n’est personne, en dehors des députés UDC, pour oser ne pas faire pipi dans sa culotte. En choeur, la droite non blochérienne fait la moue dégoûtée. Avec cet argument, en substance: comment s’attaquer à un projet dont on ne connaît pas les contours?
Blocher a l’air de le savoir, lui, et c’est bien là que réside le problème. Pourquoi tout ce chichi, du côté du Conseil fédéral, pour traduire l’enjeu dans des mots accessibles au commun des mortels? Ce qui se conçoit bien s’exprime clairement, disait Boileau. Or le moins que l’on puisse dire est que l’on nage dans un grand bleu. A croire que se répète le scénario du fameux Tafta, dit aussi TTIP, le traité de libre-échange que Washington aimerait imposer à l’Union européenne. L’opacité est telle que tout le monde s’en méfie.
Alors que les négociations entre Berne et Bruxelles ont débuté formellement en mai 2014, très peu de documents permettent de déterminer la capacité de riposte exacte du Conseil fédéral. Dans une réponse à un député UDC datant de 2013, le gouvernement fait dépendre l’avenir bilatéral de la Suisse du règlement de quatre «questions institutionnelles, la reprise du droit, l’interprétation, la surveillance et le règlement des différends». Nul ne sait ce que représente exactement ce programme en forme de quatrain. La seule chose certaine est qu’il s’agit d’une condition «claire» de Bruxelles. La dernière mise à jour de la Chancellerie fédérale confirme bien ce voeu européen d’aboutir sur les questions institutionnelles en y ajoutant une problématique, celle de la libre circulation des personnes. Sans cela, aucune chance d’envisager la conclusion de nouveaux accords sur l’accès aux marchés auxquels deux secteurs tiendraient beaucoup, l’électricité et la chimie. A se demander pourquoi Blocher, actionnaire principal d’un grand groupe chimique, y est tellement opposé, dans ce cas.
On espère que le peuple aura le dernier mot au terme d’un marathon de débats dont on appréhende d’ores et déjà l’intensité et les coups bas. Blocher y met d’emblée le paquet en finançant des pages entières de publicité dans les journaux, mais au moins on sait d’où vient l’argent: de sa poche. Aucune surprise à attendre de sa part. La campagne des partisans s’annonce corsée, elle devrait révéler une alliance de fait entre la gauche et la droite non blochérienne. On risque surtout de voir ressurgir une tendance fort prisée par les partis traditionnels en démocratie: la diabolisation de l’adversaire populiste. Au point qu’elle pourrait s’avérer contra-productive.
Jetons un oeil sur la stratégie utilisée par la gauche et la droite non lepéniste en France et par Hillary Clinton face à Trump aux Etats-Unis. On parle moins, voire très peu, de la propre vision du pays, on ne dit pas grand chose aux électeurs des ingrédients de la soupe qu’ils mangeront au cours des prochaines années. Par contre, on ne perd pas une occasion de dénoncer les dangers d’une politique isolationniste et surtout protectionniste. C’est de bonne guerre et pas forcément illégitime, sauf que l’on ne gouverne pas seulement avec des «contre». Il faut aussi mettre des «avec» dans ses arguments, des éléments innovateurs et constructifs qui donnent au moins l’espoir à des catégories de population précarisées par des années de post-krach. Sinon on risque de nourrir l’effet contraire en poussant les citoyens à voter pour l’adversaire honni.
La Suisse emboucherait-elle d’autres trompettes? L’actualité n’en donne pas vraiment l’impression. Les ennuis du procureur Lauber attesteraient plutôt d’un laisser-aller inquiétant. Des soupçons de partialité pèsent sur ce super-flic censé être au-dessus de la mêlée. A l’heure où la justice de certains cantons affronte des critiques qui ne sont pas sans fondement, la Suisse ne peut pas se permettre de voir les instances en charge de sa sécurité menacées d’être placées à leur tour sous tutelle. Par des juges de Strasbourg? D’autant que l’affaire se superpose à celle mettant en scène un ancien diplomate suisse en Afrique, que deux hommes d’affaires kenyans accusent de tentative de contrainte.
Rien ne prouve en l’état que ces deux personnages ont péché. Reste qu’aux plus hauts échelons de l’Etat plane le spectre de la malgouvernance. Des procédures d’enquête sont prévues, il faut espérer qu’elles feront toute la lumière et ramèneront la confiance dans les institutions.
Une parabole ne va pas à sens unique: la paille dans l’oeil du voisin pour ne pas voir la poutre dans le sien… Les mouvements extrémistes sont bien trop contents de pouvoir surfer sur les lâchetés et les carences du pouvoir en place. La meilleure manière de leur damer le pion est de prouver le contraire.