Tôt ou tard, il faudra bien que la société rende des comptes à la mémoire des milliers de pensionnaires d’EMS (établissement médico-social), fauchés par l’épidémie de Coronavirus. Piégés comme des rats, faute de protection suffisante des seniors et du personnel. Morts sans tendresse, abandonnés de tous. Un scandale qui a d’abord pour origine l’abandon au privé des structures de soin réservées aux aînés.
Le premier à se désintéresser des « vieux » a été l’Etat. Obnubilés par l’idée de sauver l’économie, des gouvernements ont sacrifié lâchement une catégorie de la population qui n’avait plus d’utilité sur le marché du travail, en plus de coûter cher aux caisses de prévoyance et aux assurances.
Dans les grands hôpitaux de Suisse romande, des centaines de lits sont inoccupés. Dédiés aux malades du virus, les blocs opératoires ne tournent qu’à 20%, la plupart des médecins généralistes se retrouvent quasiment au chômage technique. Une situation qui profite à l’Etat et aux assureurs, soit dit en passant. Voeu pieux mais nullement incongru: compte tenu des «économies» ainsi réalisées, une augmentation des primes et la baisse des tarifs médicaux ne devraient pas être de mise en 2021.
S’est ainsi créée une ségrégation de fait par l’établissement d’un ordre de priorité lors de l’admission des malades dans les hôpitaux. Beaucoup de personnes âgées que la médecine aurait sauvées en période « normale » ont succombé en raison d’un manque de personnel aux urgences. Indigne d’un pays riche qui se vante de posséder l’un des meilleurs systèmes de santé au monde.
Ce n’est pas tout. Ces mêmes gouvernants ont péché par optimisme en dissuadant des malades chroniques de trop écouter les signaux d’alerte émanant de leur corps et en leur recommandant de retarder un contrôle à l’hôpital. Cette erreur pourrait se payer cash en termes d’espérance de vie pour les populations de patients concernées. Ils ont également sous-estimé les risques que courent les jeunes générations. Résultat: de l’inconscience et une attitude souvent déresponsabilisée de la part des non-concernés présumés. Lesquels ont contribué par leur négligence à la diffusion de la maladie.
Des chiffres commencent à sortir du coma institutionnel dans lesquels les communicants les avaient confinés. Dans le canton de Vaud, la moitié des personnes décédées vivaient dans un établissement spécialisé. Le massacre risque hélas de se poursuivre, tant et si bien que l’on a réquisitionné des soldats pour encadrer le personnel des EMS.
Avec la levée progressive du confinement jailliront des témoignages, les récits de la douleur des familles qui n’ont pas pu entourer leur proches, morts dans la solitude. En Italie, un ex-magistrat de haut vol, spécialisé dans les affaires de corruption politique, a été mandaté pour enquêter sur les décès de plus de 50 pensionnaires d’une institution milanaise, emportés par le Covid-19. Il reste à espérer que la justice sera sollicitée en Suisse également, si tant est qu’elle s’y exerce en toute indépendance.