Le feuillage étanche m’empêchait de voir la coulée blanche prédatrice, glissant tel un serpent entre les vignes du Lavaux. Le béton meurtrier. La cause de mon crève-coeur.
J’ai voulu te sauver, joli parc aux arbres peuplés d’oiseaux chantants. J’ai rejoint la petite troupe des citoyens armés de fourches pointées vers les grues aux bras menaçants. Un notable aux besicles en titane nous a conseillé de choisir la voie du dialogue. On appelle ça un recours. Pétri d’espoir, j’ai signé une pétition accusant le promoteur de détruire le patrimoine en plantant ses tours carrées dans mon verger. J’ai chanté avec Nino « La maison tout près de la fontaine ». Las, un juge a décrété que tu devais mourir. Les feuillus ont été rasés, laissant le bitume dégager son haleine chaude là où folâtraient des roses.
Sur un rayon de la bibliothèque l’était un vieux manuel, un guide de la décroissance. Ecrit en 1970, il anticipait la destruction massive des habitats, la surconsommation, la guerre. Les relais du pouvoir ont travaillé d’arrache-pied pour casser l’utopie. Ils ont décrété que l’on vit mieux aujourd’hui qu’autrefois. La science n’a-t-elle pas vaincu le tétanos, la diphtérie, le typhus? La famine n’a-t-elle pas disparu grâce aux gros-porteurs, lanceurs de pemmican au ketchup sur les camps de réfugiés? Bienvenue dans le Meilleur des mondes!
Il ne lui reste plus, à la science, qu’à mater un détail, le dérèglement climatique. Tiens tiens… Tandis que Greta nous assigne quelques mois pour éviter le Pire des mondes, la presse financière salue l’entrée en bourse du géant pétrolier Aramco, l’un des plus gros pollueurs de la planète. Nous voilà assurément sur la bonne voie!