Les pays d’Europe orientale, puisque c’est d’eux qu’il s’agit en dehors d’Albion, ont un passé tumultueux et tragique, pris entre les feux des grandes puissances allemande et russe. Des allusions à la correction de leurs frontières, comme l’a fait récemment Frans Timmermans, responsable européen que courroucent les « neinsager » polonais, hongrois, slovaques, tchèques, voire roumains et bulgares, sont d’un très mauvais goût et relèvent d’un manque d’éducation historique flagrant quand ce n’est pas d’une approche ethnique douteuse.
Le plus problématique dans ces accrochages est que ceux-ci révèlent les lacunes institutionnelles dans la gestion de la machine européenne. Qui dirige qui dans ce conglomérat de peuples? Contesté dans son propre pays, M. Macron est-il habilité à donner des leçons à son homologue polonais? Leader d’un pays considéré comme un fabricant d’armes majeur, Mme Merkel peut-elle jouer à la vierge effarouchée face aux fermetures des frontières plus à l’est?
Les titres des journaux n’apaisent pas ce lynchage idéologique: « Bruxelles inflige une claque à Orban », « L’option nucléaire s’impose » (ndlr: pour « mater » la Hongrie)… En d’autres termes, écrasez ces mouches qui nous narguent! Est-ce ainsi que l’on entretient l’esprit de la cohabitation au sein d’ «une association politico-économique sui generis de vingt-huit Etats européens qui délèguent ou transmettent par traité l’exercice de certaines compétences à des organes communautaires» (wikipedia)?
On peut s’amuser à essayer d’imaginer les conséquences d’un transfert de cet état d’esprit à une construction qui a aussi ses défauts mais a au moins fait ses preuves en matière de fédéralisme, la Suisse. Zurich vitupérant contre le Valais parce que ce dernier n’appliquerait pas à la lettre son quota de réfugiés? Berne privant Sion de sa péréquation? Le « Tages-Anzeiger » prônant l’envoi de la troupe pour imposer des camps de migrants sur les bords du Rhône?
Lancé au lendemain de la guerre, le projet européen partait d’une vision pragmatique qui ne manquait pas de panache. Mais il n’a jamais pu s’affranchir d’une logique purement économique au service du « reconstructeur » américain. Aujourd’hui ses fondateurs ont la nostalgie d’une époque où ils faisaient la loi. C’est comme si, en Suisse, Uri, Schwytz et Unterwald se mettaient soudain à donner des bons et des mauvais points à leurs partenaires au sein de la Confédération.
Pour parvenir à un ensemble abouti, l’Europe dite unie a décidément encore un long travail à accomplir. Et surtout beaucoup à apprendre.